Les marchés boursiers se sont fortement repliés à l’échelle mondiale la semaine dernière. L’élément déclencheur semble être la conférence de presse du président du conseil de la Réserve fédérale américaine (Fed), Jay Powell, à la suite de la réunion du 9 au 10 juin du Federal Open Market Committee (FOMC). Voici un résumé des cinq principaux points de cette conférence de presse et des éléments à retenir que j’ai entendus en « lisant entre les lignes ».
1. Malgré un rapport sur l’emploi plus encourageant que prévu, la Fed est d’avis que la situation économique demeure peu reluisante
Powell a qualifié le rapport sur l’emploi de mai aux États-Unis de « surprise bienvenue », mais a précisé qu’avec bien au-delà de 20 millions de personnes déplacées sur le marché du travail, les États-Unis ont encore « un long chemin » à parcourir : «… c’est sans contredit le plus gros choc économique aux États-Unis et dans le monde de mémoire d’homme. Nous sommes passés du taux de chômage le plus bas en 50 ans au taux le plus élevé en près de 90 ans, le tout en deux mois; c’est du jamais vu. »
Il a souligné que de nombreux prévisionnistes s’attendaient à ce que l’économie touche le fond du baril vers le milieu de l’année (bien qu’avec un degré élevé d’incertitude), suivi d’une reprise pendant la deuxième moitié de l’année – et ce rapport sur l’emploi semble indiquer que le marché du travail a peut-être atteint le plancher en mai. Cependant, « nous n’allons pas réagir de façon exagérée à un seul point de données, a déclaré M. Powell. Nous allons faire très attention avant de tirer des conclusions des bonnes ou des mauvaises données ».
Powell a estimé que des millions de personnes pourraient ne pas être en mesure de retrouver l’emploi qu’elles ont perdu pendant la crise. «… il n’y aura peut-être pas d’emploi pour ces personnes dans cette industrie pendant un certain temps. Il y en aura éventuellement, mais il faudra peut-être quelques années avant que ces personnes puissent de nouveau trouver un emploi. »
En lisant entre les lignes. Les perspectives économiques sobres de la Fed ont secoué les marchés, mais je crois que M. Powell s’adressait à un seul interlocuteur : le chef de la majorité au Sénat, Mitch McConnell. M. Powell est d’avis que davantage de mesures de relance budgétaire sont nécessaires et il a senti le besoin d’insister sur le fait qu’un bon rapport sur l’emploi ne devrait pas dissuader le Congrès d’approuver davantage d’aide.
2. La Fed n’a pas modifié ses prévisions d’emploi à long terme
Malgré le traumatisme subi par l’économie américaine, la Fed n’a pas encore modifié ses prévisions d’emploi à long terme. M. Powell a déclaré qu’il est « beaucoup trop tôt » pour modifier les prévisions à long terme.
En lisant entre les lignes. À mon avis, c’est logique, car de nombreux facteurs pourraient avoir une incidence sur les prévisions économiques à plus long terme, y compris l’adoption ou non d’autres mesures de relance budgétaire.
3. La Fed juge que la réponse à la crise a été bonne, mais elle estime que des mesures de relance budgétaire supplémentaires sont nécessaires
Powell s’est empressé de souligner que « la réaction du gouvernement a été si rapide et si énergique »; le Congrès a autorisé pour quelque 3 mille milliards $US de dépenses budgétaires jusqu’à présent, ce qui représente 14 % du produit intérieur brut américain. Il n’a pas tari d’éloges : « … il est dans une classe à part, en termes de taille et de vitesse, et il s’est montré plutôt innovant ».
Cependant, il a également noté que le Congrès pourrait devoir dépenser davantage pour combler le soutien aux prêts de la Fed. « La Fed ne peut pas octroyer d’argent à des bénéficiaires particuliers. Elle ne peut que créer des programmes ou des facilités de crédit largement accessibles pour accorder des prêts à des entités solvables en espérant que les prêts seront remboursés. De nombreux emprunteurs bénéficieront de ces programmes, tout comme l’ensemble de l’économie. Mais pour beaucoup d’autres, obtenir un prêt qui peut être difficile à rembourser n’est peut-être pas la solution. Dans ces cas, un soutien budgétaire direct peut être nécessaire. Les élus ont le pouvoir de taxer et de dépenser et de décider où nous, en tant que société, devons diriger nos ressources collectives. La loi CARES et d’autres lois fournissent une aide directe aux particuliers, aux entreprises et aux communautés. Ce soutien direct peut faire toute la différence, non seulement pour aider les familles et les entreprises qui en ont besoin, mais aussi pour limiter les dégâts durables à notre économie. »
« Il est possible que nous devions en faire plus et que le Congrès doive en faire davantage… D’une manière ou d’une autre, nous devons tous, en tant que pays, remettre ces gens au travail. »
En lisant entre les lignes. M. Powell a tenté de faire tout ce qui était en son pouvoir pour inciter le Congrès à adopter d’autres mesures de relance budgétaire sans lui enjoindre de le faire (comme il l’a souligné, « la décision lui appartient ».) Dans un témoignage devant le Congrès plus tôt au printemps, M. Powell a dit clairement qu’à son avis, les mesures de relance prises maintenant coûteront beaucoup moins cher que de laisser l’économie sombrer plus profondément. Il vaut mieux permettre à un travailleur de garder son emploi que de le laisser le perdre, puis d’attendre qu’il en trouve un autre. Il a ajouté que ce n’est pas non plus une bonne politique que de laisser de bonnes entreprises fermer définitivement leurs portes.
4. La Fed prévoit maintenir une politique monétaire très accommodante pendant encore longtemps
« … nous serons ici avec nos outils pour soutenir cette économie aussi longtemps qu’il le faudra. »
« Nous n’envisageons même pas de penser à relever les taux. »
En lisant entre les lignes. On dirait bien que les taux vont rester bas encore très longtemps. La politique préconisée par le FOMC est que les taux restent inchangés jusqu’en 2022. Il est important de noter qu’aucun membre du FOMC ne prévoit de hausses de taux cette année ni l’an prochain, et que seulement deux membres sont en faveur d’une hausse de taux en 2022. La Fed maintiendra également les achats liés aux mesures d’assouplissement quantitatif (AQ) aux seuils actuels, soit 80 milliards $US par mois en bons du Trésor et 40 milliards $US par mois en titres adossés à des créances immobilières. Bien que je ne m’attende pas à ce que les taux chutent en territoire négatif, nous traversons une conjoncture de répression financière et je crois que la pénurie de rendement va s’intensifier. Je pense que la quête de rendement deviendra encore plus difficile, mais importante pour de nombreux investisseurs.
5. La Fed est disposée à tout faire en son pouvoir pour soutenir l’économie
Powell a déclaré qu’il semble « fort probable » que, même après une forte croissance de l’emploi aux États-Unis, un nombre considérable de personnes « auront encore du mal à trouver un emploi, et nous maintiendrons une politique très accommodante pour leur venir en aide ».
Il a insisté sur le fait que la Fed a beaucoup appris ces dernières années, y compris que le taux de chômage peut osciller entre 3 et 3,5 % pendant un an ou deux, accompagné d’une très faible évolution des salaires et d’une variation quasi-invisible de l’inflation. « … à mon avis, personne, ou du moins la plupart des gens, n’avait cette compréhension de de la structure de l’économie. Nous pouvons donc utiliser les outils à notre disposition pour soutenir le marché du travail et l’économie. »
« …et nous allons déployer nos outils – tous nos outils dans leur pleine mesure pour atteindre ces objectifs, aussi longtemps qu’il le faudra. »
En lisant entre les lignes. M. Powell canalise son « Mario Draghi intérieur » pour donner à la Fed un ton extrêmement activiste. La Fed est intervenue beaucoup plus massivement que pendant la crise financière mondiale, et beaucoup plus rapidement. Le FOMC est très à l’écoute des besoins de la population; M. Powell a même ajouté que la Fed cherche des moyens de venir en aide aux organismes sans but lucratif en les incluant dans les facilités de crédit de la Fed ou en en créant une sur mesure. Toute cette aide fausse le profil risque-rendement des diverses catégories d’actifs. Le biais en faveur des actions reste à la hausse, à mon avis, car la Fed a rendu les actifs à risque moins risqués avec tous ses accommodements.