De la courbe des taux des bons du Trésor américain à la volatilité des marchés boursiers, en passant par la réaction de la Chine à la COVID, je reçois de nombreuses questions de clients sur les conclusions que nous pouvons tirer du déluge quotidien de données avec lesquelles les investisseurs doivent composer. Cette semaine, je réponds aux plus récentes questions.
La courbe des taux des bons du Trésor américain signale-t-elle une récession imminente?
L’écart entre les taux des bons du Trésor américain à 10 et à 2 ans s’est rétréci d’environ 80 points de base, pour s’établir à 20 points de base sur une période relativement courte, ce qui a suscité beaucoup de spéculation à savoir si une récession est imminente.1 Cependant, il est important de noter que l’écart de taux demeure nettement plus grand qu’à l’été 2019, lorsque la courbe des taux s’est brièvement inversée.
Mon point de vue sur la courbe des taux : Les risques de récession ont certes augmenté, mais cela ne signifie pas pour autant que nous assisterons à une inversion prochaine de la courbe des taux des bons du Trésor américain suivie d’une récession. Il est vrai qu’historiquement, le marché obligataire a été un indicateur plus précis de récessions. Nous voyons déjà plusieurs parties de la courbe des taux s’inverser, mais pas toutes. En fait, l’écart entre les taux des bons du Trésor américain à 10 ans et à 3 mois s’est élargi récemment, ce qui porte à croire que nous pourrions éviter une récession. Les banques centrales des pays développés, en particulier la Réserve fédérale américaine, pourraient encore parvenir à effectuer un atterrissage en douceur.
Et comme mon collègue Brian Levitt l’a souligné, une inversion de la courbe des taux signale généralement une récession à long terme. Au cours des six dernières décennies, la période médiane entre l’inversion initiale de la courbe des taux et le début d’une récession a été de 18 mois.2 De plus, comme il l’a dit, une inversion de la courbe des taux n’a pas toujours été un bon signal de vente des titres. En fait, le rendement médian de l’indice S&P 500 entre la date à laquelle la courbe des taux s’inverse à chaque cycle et le pic du marché est de 19 %.3
Assistons-nous à un désancrage des anticipations d’inflation à plus long terme des consommateurs?
Ça ne semble pas être le cas. La Fed de New York mesure les anticipations d’inflation à un an et à trois ans, et les deux ont augmenté récemment. La semaine dernière, l’Université du Michigan a publié son sondage final sur les attentes des consommateurs pour le mois de mars. À l’instar du sondage de la Réserve fédérale de New York sur les attentes des consommateurs, les anticipations d’inflation à un an ont augmenté jusqu’à 5,4 %, alors que le résultat final du sondage de février était de 4,9 %. Cependant, selon le sondage de l’Université du Michigan, les anticipations d’inflation à cinq ans se sont maintenues à 3 %.4 Cela nous indique que, malgré l’invasion de l’Ukraine par la Russie et la forte hausse des prix de nombreux produits de base, les anticipations d’inflation à plus long terme restent relativement bien ancrées. Cela ne signifie pas que les attentes ne changeront pas si la crise perdure et c’est la raison pour laquelle nous allons suivre ce paramètre de près.
Comment se fait-il que les cours boursiers continuent d’augmenter si la confiance est si faible?
C’est vrai que la confiance n’est pas au rendez-vous. La confiance des consommateurs américains, telle que mesurée par l’Université du Michigan, a continué de baisser en mars et est à son plus bas en dix ans, en grande partie en raison des inquiétudes concernant l’inflation.5 Cependant, la conjoncture économique demeure somme toute bonne aux États-Unis, avec une pénurie de main-d’œuvre, comme en témoignent le nombre de premières inscriptions à l’assurance-chômage inférieur aux attentes la semaine dernière. De plus, les indicateurs avancés se maintiennent au beau fixe. On ignore si la Fed sera en mesure d’effectuer un atterrissage en douceur, mais, même si les risques de récession augmentent, les marchés boursiers américains signalent clairement un optimisme persistant, tandis que le marché obligataire signale une certaine crainte. De plus, dans l’ensemble, les actions sont plus attrayantes pour les investisseurs, compte tenu du repli important survenu récemment.
Ce ne sont pas toutes les actions qui se sont redressées la semaine dernière. Les marchés boursiers européens ont reculé et c’est logique, étant donné qu’ils sont plus vulnérables aux retombées de la crise russo-ukrainienne à plus court terme. La confiance des entreprises allemandes, telle que mesurée par l’indice IFO des attentes des entreprises allemandes, a chuté de 13,3 points en mars.6 Cela s’explique par l’incertitude extrême, qui se comprend aussi, compte tenu de la proximité de l’Allemagne à l’épicentre de la crise. Cependant, je crois que tout progrès vers la résolution de la crise russo-ukrainienne profiterait davantage aux marchés boursiers européens.
Pourquoi la volatilité des marchés boursiers américains a-t-elle autant diminué?
En effet, l’indice VIX est tombé à des niveaux jamais vus depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Comme je m’y attendais, les actions américaines s’acclimatent à la « nouvelle normalité » qui tient compte du conflit géopolitique qui fait rage en Europe de l’Est. Et, comme je l’ai mentionné plus haut, les actions indiquent clairement un regain d’optimisme à l’égard de l’économie américaine. Il est intéressant de noter que l’indice VIX a culminé en même temps que la courbe des taux des bons du Trésor américain à 10 ans et à 3 mois a recommencé à se redresser. Cependant, alors que les marchés boursiers américains pourraient se maintenir, je m’attends à ce que la volatilité augmente à nouveau, compte tenu des deux vents contraires simultanés, à savoir le resserrement de la politique de la Fed et les risques géopolitiques. C’est peut-être le calme avant une autre tempête.
Devrions-nous nous inquiéter pour l’économie chinoise, compte tenu des mesures de confinement liées à la COVID-19?
La Chine a déjà imposé diverses mesures de confinement, mais l’impact sur le secteur manufacturier a été gérable jusqu’à présent. Cependant, les dépenses des ménages et le secteur des services pourraient ralentir davantage dans la foulée de la vague d’infection à laquelle nous assistons en ce moment. Même si l’économie chinoise a connu un bon début d’année, elle risque de stagner en raison des récentes perturbations liées à la pandémie; cependant nous prévoyons que les autorités monétaires vont renforcer le soutien monétaire et budgétaire au deuxième trimestre. Par conséquent, si ralentissement il y a, il pourrait être très bref. Nous persistons à croire que l’économie chinoise va réaccélérer pendant la deuxième moitié de 2022.
La mondialisation est-elle morte et enterrée?
À mon avis, certainement pas. Pour paraphraser Mark Twain, l’annonce de sa mort est une grossière exagération. La pandémie et la guerre russo-ukrainienne ont certes fortement ébranlé la mondialisation, qui a essuyé un revers. En deux mots, à court terme, les événements géopolitiques risquent d’influencer les décisions commerciales mais, à plus long terme, l’économie va dicter ces décisions. Les entreprises agissent dans l’intérêt de leurs actionnaires et de leurs clients, ce qui signifie que les entreprises vont continuer de fonctionner selon le concept d’avantage comparatif. Par conséquent, je crois que nous continuerons d’aller vers une plus grande mondialisation.
Où se trouvent les occasions de placement dans cette conjoncture difficile?
Certains investisseurs misent sur la répartition tactique et nous croyons qu’il y a toujours de bonnes occasions de placement, même dans les conjonctures les plus difficiles. Par exemple, à l’heure actuelle, le marché boursier japonais nous semble attrayant. L’économie japonaise a eu du fil à retordre pendant la deuxième moitié de 2021, parce que la campagne de vaccination a été au ralenti et que la faiblesse de l’économie du pays a nui au marché boursier japonais. Or, l’économie du Japon bénéficie désormais de l’assouplissement des mesures de confinement liées à la COVID-19, d’un yen plus faible et de mesures de relance budgétaires. Qui plus est, pendant que de nombreuses grandes banques centrales resserrent leur politique monétaire, la Banque du Japon (BdJ) semble disposée à maintenir une politique monétaire très accommodante, du moins pour le moment, comme l’a expliqué le gouverneur de la BdJ, Haruhiko Kuroda, dans ses récentes allocutions : « Il n’est ni nécessaire ni opportun de resserrer notre politique monétaire, car la majeure partie de l’inflation attendue résultera de la hausse des prix des produits de base et des coûts d’importation. »7 De plus, les coûts de main-d’œuvre moins élevés au Japon que dans les autres pays développés favorisent les sociétés en ce qui a trait aux bénéfices.
Dans l’ensemble, nous préconisons toujours une saine diversification à long terme entre et au sein des catégories d’actifs, de garder le cap sur votre plan financier à long terme et de rester calmes en dépit de l’incertitude qui plane sur les marchés.
Rédigé en collaboration avec David Chao et Tomo Kinoshita.
1 Source : Réserve fédérale de St. Louis, 25 mars 2022
2 Source : National Bureau of Economic Research, Bloomberg, L.P., Invesco
3 Source : Bloomberg, L.P. Les rendements passés ne sont pas indicatifs des résultats futurs.
4 Source : Université du Michigan, Sondage sur les attentes des consommateurs, 25 mars 2022
5 Source : Université du Michigan, Sondage sur les attentes des consommateurs, 25 mars 2022
6 Source : ifo Institute, 25 mars 2022
7 Source : Kyodo News, « BOJ keeps easing policy steady amid low inflation, Ukraine crisis », 18 mars 2022