Le monde s’ouvre dans de nombreux endroits et j’ai eu la chance de voyager et d’interagir davantage avec les clients. On me demande souvent quels paramètres je suis le plus attentivement. La liste est très longue, mais en voici quelques-uns qui, à mon avis, sont particulièrement pertinents en ce moment.
Paramètres à surveiller en avril
Indicateurs de l’économie chinoise. L’économie chinoise a subi des pressions récemment en raison des mesures de confinement liées à la COVID qui ont été imposées à la grandeur du pays. Cela se reflète dans les plus récentes données de l’indice des gestionnaires en approvisionnement (PMI). L’indice PMI manufacturier de la Chine s’est établi à 49,5 points en mars, ce qui le place techniquement en territoire de contraction, contre 50,2 points en février.1 De même, l’indice PMI du secteur tertiaire s’est fixé à 48,4 points en mars, par rapport à 51,2 points en février.1 Je persiste à croire que cette faiblesse sera de très courte durée et je m’attends à une réaccélération de la croissance économique au cours de la deuxième moitié de 2022, alors que les mesures de confinement seront levées, compte tenu du changement de politique de gestion de la COVID annoncé récemment en faveur d’une cible « zéro-COVID au niveau sociétal », et que les mesures de relance monétaires et budgétaires soutiendront l’économie. Nous allons suivre de près les indices PMI, y compris les sous-indices, qui peuvent nous en dire plus sur l’activité économique, ainsi que sur les statistiques économiques.
Statistiques économiques européennes. L’Europe est à l’épicentre de la crise russo-ukrainienne et, à mon avis, l’économie de la zone euro est clairement exposée à un risque croissant de récession. Nous constatons déjà une diminution de la confiance à l’égard de l’économie européenne, qui pourrait facilement se traduire par un ralentissement de l’activité économique. L’indice de confiance économique de la zone euro reflète cet état de fait. Il a chuté de 5,4 points en mars, en grande partie en raison de la forte baisse de confiance des consommateurs.2 Nous allons suivre les statistiques économiques européennes, en particulier les dépenses de consommation, qui semblent être un réel point faible. De plus, l’indice d’incertitude économique a augmenté brusquement en mars (en hausse de 10,7 points, pour se fixer à 25,8 points).2 Habituellement, lorsque l’incertitude économique augmente, les dépenses en immobilisations diminuent. Nous allons donc suivre de près ces indicateurs de confiance et les dépenses d’investissement des entreprises.
Événements géopolitiques liées à la production d’énergie. Évidemment, les prix du pétrole et du gaz naturel sont à l’avant-scène des préoccupations des économistes et des stratèges en ce moment, car ils ont tellement d’impact sur l’économie mondiale. Même si beaucoup craignent que les prix du pétrole franchissent le cap des 150 dollars le baril, je crois qu’il importe de noter qu’historiquement, les prix du pétrole se sont rarement maintenus au-dessus des 100 dollars le baril pendant très longtemps. Lorsque les prix sont élevés, cela fait chuter la demande et augmenter l’offre.
Un moyen d’augmenter l’offre est par la voie de négociations géopolitiques; d’ailleurs, nous allons suivre de près ces négociations. Les événements géopolitiques pourraient faire monter les prix de l’énergie, par exemple, si l’Union européenne (UE) prend la décision de ne plus acheter d’énergie russe ou si la Russie refuse de vendre à l’UE, mais ils peuvent également les faire chuter si l’offre augmente. Il se peut que certains pays, comme les États-Unis, se soucient moins de l’impact environnemental des combustibles fossiles à court terme afin de permettre une production accrue d’énergie. Les États-Unis et les pays européens pourraient assouplir les sanctions contre des pays comme l’Iran et le Venezuela afin d’augmenter l’offre d’énergie. D’ailleurs, les États-Unis ont déjà annoncé qu’ils prévoient augmenter considérablement l’utilisation des réserves stratégiques de pétrole du pays.
Perturbations des chaînes d’approvisionnement. Les perturbations des chaînes d’approvisionnement ont un impact significatif sur l’offre et peuvent aussi accentuer les pressions inflationnistes. La situation commençait à s’améliorer dans certains maillons de la chaîne d’approvisionnement mondiale jusqu’à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. La plus récente vague de COVID, qui provoque l’imposition de mesures de confinement en Chine, exacerbe les problèmes d’approvisionnement. Récemment, la Réserve fédérale de New York a créé l’indice de pression de la chaîne d’approvisionnement mondiale. Sa plus récente donnée, celle de février, montre un relâchement des pressions sur la chaîne d’approvisionnement mondiale depuis décembre 2021. Cependant, je prévois que le résultat de mars va refléter la détérioration de la situation, compte tenu de l’invasion de l’Ukraine et des mesures de confinement liées à la COVID.
Ce paramètre est très utile car il nous donne une idée de l’ampleur des perturbations des chaînes d’approvisionnement, qui ont bien sûr des répercussions sur l’inflation. Cela étant dit, il s’agit d’une évaluation « globale » de la chaîne d’approvisionnement mondiale, qui tient compte des coûts de transport provenant de sources telles que l’indice Baltic Dry ainsi que les délais de livraison et les retards tirés des sondages PMI des grandes économies interconnectées (Chine, zone euro, Japon, Taïwan, Corée du Sud, Royaume-Uni et États-Unis). On trouve aussi des évaluations par pays de ces grandes économies interconnectées. Il y a des limites à ces indices, car ils ne nous donnent pas une idée des contraintes spécifiques. (Ainsi, nous devons également suivre les indicateurs clés tels que les semi-conducteurs.)
Prix du transport par conteneurs. En plus des perturbations des chaînes d’approvisionnement, je crois qu’il est important de suivre de près l’évolution des prix du transport par conteneurs. Ils reflètent une multitude de facteurs, y compris les coûts de la main-d’œuvre (et la pénurie de main d’œuvre), de même que les prix du pétrole. De plus, ils peuvent exercer une grande influence sur les pressions inflationnistes, puisque la hausse des coûts de transport se répercute souvent sur les prix payés par les consommateurs. Je suis l’indice Freightose Baltic : indice mondial des prix du transport par conteneurs et l’indice mondial des conteneurs ainsi que les coûts des conteneurs sur certaines routes maritimes. La bonne nouvelle est que les prix des conteneurs ont baissé après avoir culminé il y a plusieurs mois, même s’ils restent beaucoup plus élevés qu’ils ne l’étaient avant la pandémie.3
Confiance des consommateurs américains à l’égard des conditions d’achat des « biens durables coûteux ». Chaque mois, l’Université du Michigan sonde les consommateurs pour savoir s’ils pensent que c’est le bon ou le mauvais moment pour acheter des biens ménagers durables coûteux et des véhicules (qui font l’objet de deux questions séparées). Ces derniers mois, l’indice a fait une chute vertigineuse, car un nombre croissant de consommateurs ont répondu que ce n’était pas le bon moment pour acheter de tels articles. Cela pourrait être positif, puisque cela réduit les pressions inflationnistes et signifie que les ménages reportent les gros achats à moins que cela ne soit nécessaire. Gardez à l’esprit qu’en périodes inflationnistes, les consommateurs achètent généralement des biens plus tôt car ils s’attendent à ce que les prix augmentent. Une diminution de la demande peut contribuer à atténuer les pressions inflationnistes.
Anticipations d’inflation aux États-Unis. La Réserve fédérale américaine veut s’assurer que les anticipations d’inflation à long terme restent « bien ancrées ». Évidemment, elle suit différents indicateurs des anticipations d’inflation, allant de l’évolution des marchés aux sondages auprès des consommateurs, et ce ne sont pas les sources de sondages qui manquent, allant des économistes aux chefs d’entreprise en passant par les consommateurs. Cependant, je persiste à croire que ce qui préoccupe le plus la Fed, ce sont les anticipations d’inflation des consommateurs, car ces derniers jouent un rôle tellement important dans l’économie américaine. Par conséquent, suivre l’enquête auprès des consommateurs de la Réserve fédérale de New York et l’enquête de l’Université du Michigan sur les anticipations d’inflation des consommateurs, en particulier les attentes à plus long terme, peut s’avérer fort utile. Pour le moment, les attentes d’inflation des consommateurs pour les cinq prochaines années selon l’enquête de l’Université du Michigan restent élevées, mais semblent relativement bien ancrées, mais cela pourrait changer avec le temps et si l’inflation demeure élevée.
Courbe des taux des bons du Trésor américain. Comme nous le savons tous, la courbe des taux des bons du Trésor américain de 2 à 10 ans s’est inversée la semaine dernière4, ce qui pourrait indiquer que les marchés s’attendent à une détérioration de l’économie américaine. Cependant, d’autres parties de la courbe des taux semblent saines. Nous allons continuer à suivre de près l’évolution de la courbe des taux pour voir si toutes les parties de la courbe vont finir par s’inverser. Je vais porter une attention particulière à la courbe des taux des bons du Trésor américain de 3 mois à 10 ans car, historiquement, certains économistes se sont appuyés sur ce paramètre pour prédire les récessions. De plus, nous allons suivre les courbes des taux en sachant que pour donner une indication fiable, l’inversion doit durer pendant un certain temps, et que les inversions n’ont pas toujours été un signal de vente fiable pour les marchés boursiers. Au cours des six dernières décennies, la période médiane entre l’inversion initiale de la courbe des taux des bons du Trésor de 2 à 10 ans et le début d’une récession a été de 18 mois.5
Situation de l’emploi aux États-Unis. Le rapport sur l’emploi de mars a donné à la Fed deux raisons d’augmenter les taux de 50 points de base en mai. Premièrement, le rapport fait état d’un taux élevé de création d’emplois. En mars, la création d’emplois non agricoles a été forte, à 431 000, et celle de février a été révisée à la hausse à 750 000 emplois.6 Deuxièmement, le salaire horaire moyen a augmenté de 0,4 % sur un mois.6
- Cela ne signifie pas pour autant qu’il faut s’attendre à d’autres hausses de taux marquées d’ici la fin de l’année. À mon avis, le plus grand risque pour l’économie américaine demeure un resserrement trop marqué de la politique monétaire de la Fed qui pourrait plonger les États-Unis en récession. Je suis convaincue que la Fed fera de son mieux pour éviter une récession et parvenir à effectuer un « atterrissage en douceur » en agissant en fonction des données, ce qui signifie suivre de près les rapports sur l’emploi pour détecter les signes de faiblesse au cours des prochains mois. Comme une diminution significative du taux d’emploi pourrait inciter la Fed à revoir ses plans de resserrement plus tard cette année, nous allons suivre très attentivement l’évolution de la situation pour voir si la vigueur du marché du travail observée en mars perdure ou si la tendance s’inverse. Par contre, si les salaires continuent à croître aussi rapidement, la Fed pourrait s’inquiéter d’une spirale salaires-prix (hausse des salaires entraînant des prix encore plus élevés, ce qui ferait augmenter encore plus les salaires et ainsi de suite), ce qui pourrait pousser la Fed à accélérer davantage le resserrement de sa politique monétaire.
Conclusion
Avril est le mois de la littératie financière aux États-Unis, mais c’est un sujet d’une importance cruciale partout dans le monde. La littératie financière consiste entre autres à comprendre ce que les différents rapports sur les marchés et l’économie nous disent en tant qu’investisseurs. Espérons que cette « courte liste » vous aidera à mieux comprendre la conjoncture économique difficile dans laquelle nous nous trouvons. Cependant, il faut savoir que si ces indicateurs peuvent éclairer nos décisions tactiques, ils ont très peu de poids à long terme. À plus long terme, je pense que les investisseurs devraient s’en tenir à un portefeuille diversifié entre les trois principales catégories d’actifs et à l’intérieur de ces catégories pour atteindre leurs objectifs de placement.
1 Source : National Bureau of Statistics (Chine)
2 Source: Commission européenne, 30 mars 2022
3 Sources : Données de Freightose (indice Freightose Baltic : indice mondial des prix du transport par conteneurs) et de Drewry (indice mondial des conteneurs)
4 Source : Bloomberg, L.P.
5 Source : National Bureau of Economic Research, Bloomberg, L.P., Invesco
6 Source : U.S. Bureau of Labor Statistics, 1er avril 2022