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Kristina Hooper | 23 mars 2022

La Fed ne mâche pas ses mots, mais passera-t-elle de la parole aux actes?

Les « dot plots » de la Réserve fédérale américaine laissent présager une accélération des hausses de taux, mais ses prévisions se concrétiseront-elles? Kristina Hooper explique pourquoi, même si la Fed ne mâche pas ses mots, elle aura peut-être plus de mal à passer de la parole aux actes.

Comme beaucoup d’entre vous le savent, je suis mère de trois adolescents. Mon mari et moi nous sommes toujours efforcés d’être de bons parents, mais nous sommes conscients de nos forces et de nos faiblesses. Une catégorie dans laquelle nous éprouvons des difficultés depuis que nos enfants sont tout petits est celle que j’appelle « menaces et punitions ». Nous avons toujours été bien meilleurs pour les menacer que pour les punir. Nous n’avons aucun mal à promettre de graves conséquences, tout en espérant de tout cœur qu’ils soient sages et que nous n’ayons pas besoin d’avoir recours à une punition. Bref, comme le dit l’adage : « chien qui aboie ne mord pas » ou encore « grands parleurs, petits faiseurs ».

Je soupçonne que la Réserve fédérale américaine (Fed) est dans une position similaire en ce moment : elle parle fort, tout en espérant ne pas avoir à prendre les grands moyens. Avouons-le, il est plus facile de parler que d’agir. Parfois, un sermon suffit; si vous signalez aux marchés et à l’économie que vous êtes prêt à aller jusqu’au bout pour atteindre votre objectif de politique, vous pourrez peut-être vous en sortir en en faisant moins que si vous en aviez moins dit.  

La Fed ne mâche pas ses mots

En effet, le président du conseil de la Fed, Jay Powell, nous a avertis la semaine dernière que : « … chaque réunion se tiendra en direct. Nous allons suivre de près l’évolution de la situation et si nous jugeons qu’il serait approprié d’intervenir plus rapidement pour abolir les mesures d’assouplissement, nous le ferons. »1 Cette semaine, il a encore durci le ton. Dans un discours prononcé devant la National Association of Business Economists le 21 mars, il a déclaré que la Fed devait agir « rapidement » pour atteindre le taux neutre2 — qui peut être défini comme le seuil théorique auquel la politique monétaire n’est ni accommodante ni restrictive — ou peut-être aller au-delà du taux neutre vers un taux plus restrictif. Et il n’est pas le seul; d’autres membres du Federal Open Market Committee (FOMC) ont également durci le ton ces derniers jours.

Cela me rappelle la fois où nous avons dit à notre fille adolescente que nous lui retirerions son téléphone si elle ne rentrait pas à la maison au plus tard à minuit le samedi. Devinez quoi, elle est rentrée à 2 heures du matin et nous ne lui avons pas retiré son téléphone. Visiblement, nous n’étions pas prêts à aller jusqu’au bout et à vivre avec les conséquences : le cycle perpétuel de harcèlement, de plaintes et de critiques que seuls les ados maîtrisent à la perfection. De même, je crois que la Fed craint les conséquences de la concrétisation de ses dot plots, ce qui augmenterait le risque de récession. Elle espère donc qu’en publiant des dot plots qui montrent des hausses de taux plus fortes et plus rapides, cela va apaiser les craintes d’inflation et réduire la nécessité d’un resserrement aussi marqué.

Je vous rappelle que les « dot plots » désignent un graphique que la Fed utilise pour illustrer ses perspectives de la trajectoire des taux d’intérêt. Alors, qu’est-ce que la Fed tente de nous dire avec ses dot plots en ce moment? En décembre, les dot plots prévoyaient qu’il pourrait y avoir quatre hausses de taux en 2022. Aujourd’hui, ce nombre a presque doublé pour atteindre sept hausses de taux. Un membre du FOMC a prédit que le taux des fonds fédéraux atteindrait 3,1 % d’ici la fin de l’année, ce qui signifierait plusieurs hausses de taux de 50 points de base tout au long de l’année. Quelqu’un semble canaliser son Paul Volcker intérieur.

Effectivement, beaucoup de choses ont changé depuis décembre. À ce moment-là, les anticipations d’inflation des consommateurs (sur un et trois ans) avaient culminé dans le plus récent sondage de la Réserve fédérale de New York sur les attentes des consommateurs et commençaient à diminuer. Puis, la Russie a envahi l’Ukraine. La semaine dernière, une plus récente mouture de cette enquête auprès des consommateurs montrait que la crise russo-ukrainienne et l’augmentation des prix des produits de base qui en a résulté ont un impact sur les anticipations d’inflation des consommateurs, comme en témoignent les anticipations sur un et trois ans, dont la tendance s’est inversée et qui ont augmenté. La Fed veut s’assurer que les anticipations d’inflation à plus long terme sont bien ancrées et, pour ce faire, elle doit hausser le ton en espérant garder sa crédibilité pour ne pas avoir à prendre les grands moyens. Les écarts de taux des bons du Trésor américain à 2 et à 10 ans ont considérablement diminué ces derniers mois, alors que la Fed a adopté un ton plus belliciste. Si les écarts de taux tombaient en territoire négatif, cela pourrait signaler la possibilité d’une récession si la Fed décidait d’aller de l’avant avec sa politique monétaire et augmentait les taux autant que certains membres du FOMC l’exigent.

La Fed va-t-elle passer de la parole aux actes?

C’est facile de publier des dot plots qui laissent présager une forte hausse des taux et de durcir le ton dans les conférences de presse et les allocutions. C’est beaucoup plus difficile de relever les taux sept fois en un an et quatre fois l’année suivante et d’accroître le risque d’étouffer le cycle économique. Espérons que la Fed n’aura pas à être aussi agressive. Plusieurs raisons nous portent à croire que l’inflation sous-jacente va culminer bientôt, entre autres, la réduction des dépenses fédérales qui a débuté en 2022, la réduction de la masse monétaire M2 et, bien sûr, le fait que l’inflation peut s’auto-guérir — des prix élevés font chuter la demande, ce qui atténue la pression sur les prix. Cela ne signifie pas que l’inflation va redescendre à 2 % dans un proche avenir, mais elle pourrait bientôt repartir dans la bonne direction.

L’Europe adopte un ton plus conciliant

La décision de la Fed de la semaine dernière contraste avec celles de la Banque d’Angleterre et de la Banque centrale européenne (BCE). La Banque d’Angleterre a procédé à une troisième hausse de taux consécutive, mais a adopté un ton plus conciliant, ce qui laisse entrevoir une certaine flexibilité à l’avenir en raison des effets négatifs de la crise russo-ukrainienne sur la croissance économique. De son côté, la BCE, tout en précipitant la fin des achats d’obligations, a toujours maintenu un ton beaucoup plus conciliant que la Fed.

C’est logique, l’Europe est en première ligne des hostilités pas seulement géographiquement, mais elle est aussi beaucoup plus directement exposée sur le plan économique. La flambée des prix des produits de base qui a suivi l’éclatement de la guerre se traduit déjà par de fortes hausses des prix de détail de l’énergie, notamment de l’essence et de l’huile à chauffage en Europe. Les constructeurs d’automobiles allemands et d’autres industries européennes sont également touchés par la perturbation des activités de leurs fournisseurs ukrainiens de composants et de logiciels, tandis que les exportations vers la Russie sont grandement réduites en raison des sanctions. Qui plus est, les prix de l’énergie continuent d’augmenter parce que les négociations piétinent et que les hostilités s’intensifient. De nouvelles sanctions ou embargos énergétiques sont en cours de discussion, ce qui nuirait probablement davantage à la croissance en Europe qu’aux États-Unis.

Je persiste à croire que la Fed parviendra à effectuer un atterrissage en douceur, mais force est d’admettre que cette tâche sera de plus en plus ardue. La tâche est encore plus ardue pour la zone euro, même si je suis d’avis que la BCE prend les bonnes décisions pour soutenir l’économie. Idem pour la Banque d’Angleterre. La flexibilité et la dépendance aux données seront essentielles dans cette conjoncture difficile.

La Chine signale des politiques favorables aux marchés

Compte tenu de mes perspectives favorables à l’égard des marchés boursiers chinois, je m’en voudrais de ne pas mentionner les développements de la semaine dernière en Chine. Mercredi, le vice-premier ministre chinois, Liu He, a essentiellement promis le déploiement de politiques favorables aux marchés afin de soutenir la croissance économique du pays. Il a ajouté que les mesures réglementaires seront dorénavant mieux coordonnées et ne devraient pas menacer la stabilité de l’économie : « Toutes les politiques qui ont un impact significatif sur les marchés des capitaux devraient être coordonnées à l’avance avec les départements de gestion financière pour maintenir la stabilité et la cohérence des attentes politiques ».3 Je m’attendrais à plus de transparence et à moins de surprises concernant la réglementation à l’avenir, mais aussi à moins de réglementation en tant que tel et, en général, à des politiques qui visent à soutenir la croissance et à aider l’économie chinoise à atteindre son taux de croissance cible de 5,5 %.4 Le discours de la semaine dernière du vice-premier ministre chinois est un développement important et les investisseurs ont réagi en conséquence, faisant grimper les cours des actions chinoises et effaçant certaines des pertes subies au cours des semaines précédentes. Je demeure confiante quant aux marchés boursiers chinois et je suis persuadée que les politiques budgétaires et monétaires qui ont été adoptées vont s’avérer efficaces pour soutenir l’économie.

Je crois que les marchés mondiaux vont continuer d’être influencés par les propos des banques centrales, l’évolution de la guerre russo-ukrainienne, les données sur l’inflation et les anticipations d’inflation. À mon avis, les investisseurs auraient intérêt à anticiper la volatilité sans la craindre, à conserver un portefeuille diversifié et à se concentrer sur leurs objectifs à plus long terme.

Rédigé en collaboration avec Arnab Das

1 Source : Transcription de la conférence de presse de la Réserve fédérale américaine, 16 mars 2022

2 Source : NBC News, « Powell says ‘inflation is much too high’ and the Fed will take ‘necessary steps’ to address », 21 mars 2022

3 Source : Reuters, « China vows to roll out market-friendly policies », 16 mars 2022

4 Source : Bloomberg News, « China Signals More Policy Support With 5.5% Growth Target », 5 mars 2022

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Image d’en-tête du blogue : Maksym Yemelyanov / Adobe Stock

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Le Federal Open Market Committee (FOMC) est un comité du conseil d’administration de la Fed qui se réunit régulièrement pour établir la politique monétaire, y compris les taux d’intérêt perçus des banques.

Le taux des fonds fédéraux est le taux d’intérêt auquel les banques se prêtent des soldes au jour le jour.

Un point de base représente un centième d’un point de pourcentage.

Le resserrement quantitatif est une politique monétaire utilisée par les banques centrales pour normaliser les bilans.

Paul Volcker a été président du conseil de la Réserve fédérale américaine de 1979 à 1987.

Le sondage de la Réserve fédérale de New York sur les attentes des consommateurs nous renseigne sur les attentes des consommateurs en ce qui a trait à l'inflation globale et aux prix des aliments, de l'essence, du logement et des études. Il nous donne également un aperçu de l’opinion des Américains sur les perspectives d'emploi et la croissance des revenus et de leurs intentions de dépenses et d'accès au crédit.

L’écart de rendement est la différence entre le rendement de différents titres de créance, calculé en déduisant le rendement d’un instrument de celui d’un autre.

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Les opinions exprimées ci-dessus sont celles de l’auteure au 21 mars 2022. Ces commentaires ne doivent pas être interprétés comme des recommandations, mais comme une illustration des grands thèmes. Les énoncés prospectifs ne sont pas garants du rendement futur. Ils comportent des risques et des incertitudes et sont fondés sur des hypothèses; nous ne pouvons pas vous garantir que les résultats réels ne différeront pas considérablement de nos attentes.