En quoi la réduction du bilan de la Réserve fédérale américaine (Fed) est-elle différente aujourd’hui par rapport à 2014? Kristina Hooper fait le point sur le resserrement quantitatif et ce que nous savons des plans de la Fed pour 2022.
Au cours des dernières semaines, les gens ont imaginé toutes sortes de scénarios pour tenter de prévoir ce que la Fed fera cette année pour contenir la hausse de l’inflation. La semaine dernière, le Federal Open Market Committee (FOMC) a commencé à faire la lumière sur les intentions de la Fed au cours de la prochaine année. Voici les faits saillants de l’annonce et de la conférence de presse du FOMC.
Qu’avons-nous appris du FOMC?
La Réserve fédérale américaine n’a pas encore établi la cadence des hausses de taux. Plus précisément, elle n’a pas encore déterminé le rythme ni l’ampleur des hausses de taux. En effet, elle entend se fier aux données, car elle juge qu’il est important de pouvoir s’adapter à la situation et réagir aux nouvelles données et à l’évolution des perspectives. En outre, elle considère que la conjoncture économique est très différente de celle de 2015 (la croissance est plus forte, l’inflation est plus élevée et le marché du travail est en bien meilleure posture), ce qui devrait lui permettre de procéder à un resserrement plus rapide et plus marqué. À la conférence de presse de la semaine dernière, le président du conseil de la Fed, Jay Powell, a fait part de son point de vue selon lequel la Fed a « beaucoup de marge de manœuvre » pour relever les taux sans menacer le marché du travail ni étouffer l’économie. Ce n’est pas par hasard que les actions ont commencé à chuter après cette déclaration.
L’objectif premier est la stabilité des prix. La Fed semble satisfaite d’avoir rempli son mandat de « plein emploi ». Elle se concentre désormais sur son mandat de « prix stables », car elle estime que les risques d’inflation ont augmenté. En fait, le changement de discours le plus important dans la déclaration du FOMC concernait l’inflation, qui est maintenant décrite comme « bien au-delà du taux cible de 2 % » par rapport à la précédente qui disait qu’il faudrait que le taux d’inflation « dépasse la cible de 2 % pendant un certain temps ». Cela sous-entend que le décollage de la hausse des taux aura lieu « bientôt ».
Aucunes précisions sur la réduction du bilan. La Fed a émis un communiqué de presse complémentaire intitulé « Principles for Reducing the Size of the Federal Reserve’s Balance Sheet » sur le thème des principes de réduction de la taille du bilan. Ce document est similaire aux communiqués antérieurs concernant le bilan, comme celui sur les principes de normalisation qui a été publié en 2014. Ce document énonçait les objectifs généraux de la Fed, tels que son intention de détenir principalement des titres du Trésor dans son bilan, mais ne donnait pas vraiment de détails.
Les réductions pourraient commencer « en arrière-plan » cet été. Bien que nous ne connaissions pas encore les détails, nous savons que la Fed prévoit de commencer bientôt à réduire son bilan. Elle devrait avoir réglé les détails d’ici ses deux prochaines réunions, après quoi elle pourra amorcer le resserrement quantitatif cet été. Cependant, M. Powell a clairement indiqué que le taux des fonds fédéraux sera le principal outil de la Fed. Il a ajouté que la réduction du bilan se fera « en arrière-plan ».
En quoi la réduction du bilan pourrait-elle être différente cette fois-ci?
Nous ne pouvons pas faire abstraction du fait que nous n’avons appris que récemment l’intention de la Fed de commencer à réduire le bilan (aussi appelé resserrement quantitatif) cette année. La réduction du bilan abordée lors de la réunion du FOMC de décembre nous a pris par surprise, étant donné que ce processus avait commencé bien plus tard lors du cycle de resserrement précédent.
Nous devons prendre du recul et reconnaître que non seulement la Fed se prépare à amorcer le resserrement quantitatif (RQ) beaucoup plus tôt dans le processus de normalisation cette fois-ci, mais qu’elle a affaire à un bilan très différent, celui-ci est beaucoup plus imposant que celui de 2014, lorsque la Fed a mis fin aux achats d’actifs qui avaient été effectués en réaction à la crise financière mondiale (CFM). Lorsque la Fed a mis fin à son programme d’assouplissement quantitatif (AQ) en 2014, le bilan de la Fed s’élevait à environ 4 500 milliards de dollars. La Fed a attendu jusqu’à l’automne 2017 pour mettre fin à son programme d’AQ et l’a aboli prématurément en septembre 2019. La Fed n’était pas allée très loin avec son RQ à l’époque; elle s’était contentée de ramener son bilan à 3 800 milliards de dollars.1 Le bilan de la Fed a considérablement augmenté depuis lors en réaction à la pandémie et s’élève désormais à 8 800 milliards de dollars, soit environ le double d’après le programme d’AQ instauré en réaction à la CFM.1
En fait, M. Powell faisait écho aux propos de sa prédécesseure, Janet Yellen, lorsqu’il a déclaré la semaine dernière que la réduction du bilan pourrait se faire en arrière-plan. En 2017, lorsque Janet Yellen était présidente du conseil de la Réserve fédérale, elle prévoyait aussi que la réduction du bilan se ferait « en arrière-plan ». Puis, en 2016, avant le début du RQ, elle s’est mise à douter et a déclaré ceci : « Nous avons plus de mal à prédire les effets des changements du bilan sur l’économie que ceux associés aux variations du taux des fonds fédéraux. Elle craignait que « les marchés financiers et l’économie soient déstabilisés si les actifs étaient liquidés trop rapidement ».2
La dernière fois, le RQ s’est fait principalement en arrière-plan, à une exception près : il y a eu une flambée des taux du marché monétaire au troisième trimestre de 2019 qui a nécessité une intervention de la Fed. L’adjudication des bons du Trésor américain et les paiements d’impôt sur les sociétés ont coïncidé en septembre 2019, alors que le RQ de la Fed réduisait déjà les réserves bancaires. La combinaison de ces trois facteurs a provoqué une pénurie de liquidités, au point où les banques se sont empressées d’emprunter de l’argent au jour le jour pour couvrir leurs besoins de financement. (La bonne nouvelle est que la facilité de prise en pension permanente de la Fed instaurée l’année dernière devrait atténuer ces frictions et permettre un RQ plus fluide cette fois-ci, réduisant ainsi le risque d’un resserrement des marchés monétaires qui pourrait se répercuter sur l’ensemble des marchés financiers.) En 2019, la Fed est intervenue pour répondre aux besoins de liquidités à court terme et, en ce qui a trait à l’impact sur les actions, la réduction du bilan s’est produite « en arrière-plan », et ce, malgré les craintes du contraire.
La Fed a amorcé le RQ à la fin de septembre 2017 et a signalé qu’il prendrait fin le 1er août 2019, soit le jour de la date de fin effective des achats. Ainsi, pendant la période du 29 septembre 2017 au 1er août 2019, les actions mondiales ont obtenu des rendements positifs : les indices MSCI Monde et S&P 500 ont enregistré une appréciation respective des cours de 8,63 et 17,23 % pendant cette période.3
Cette fois-ci, le bilan est beaucoup plus gros, a une durée plus courte, la croissance économique est plus forte et l’inflation est plus élevée et c’est la raison pour laquelle lors de la conférence de presse de la semaine dernière, M. Powell a laissé entendre que la Fed pourrait frapper plus fort et plus vite. Ce qui soulève la question suivante : « La réduction du bilan peut-elle encore se faire en arrière-plan? »
J’aimerais penser que oui, compte tenu de notre expérience lors de la dernière ronde de RQ. Je suis surtout rassurée de savoir que la Fed s’est engagée à être dépendante des données, ce qui me dit qu’elle devrait être à l’aise de rajuster ses réductions mensuelles d’actifs en fonction des nouvelles données et de la stabilité des marchés financiers. Nous allons suivre de près l’évolution de la situation.
Rédigé en collaboration avec Arnab Das et Ashley Oerth.