Boussole hebdomadaire des marchés : L’économie pourrait ne pas vraiment redémarrer avant le printemps
Si l’on se fie au calendrier, nous sommes en 2021, mais dans de nombreuses régions du monde, cela ne ressemble pas à une nouvelle année. Nous n’avons pas encore tourné la page sur toutes les difficultés de l’année écoulée; c’est comme si nous étions restés figés en 2020. Ou, comme mon collègue le disait si bien, nous ne sommes que le 49 décembre 2020.
La vaccination progresse lentement dans de nombreuses régions du monde
Commençons par la COVID-19. La situation ne s’améliore pas dans le monde en ce qui a trait au contrôle du virus. Les États-Unis et le Royaume-Uni semblent particulièrement éprouvés. En outre, il se peut que la période des Fêtes ait eu l’effet d’un super-propagateur pour ceux qui ne se sont pas isolés. L’Allemagne fracasse des records quotidiens d’infections et de décès en lien avec la COVID-19 depuis plusieurs semaines. Même le médecin personnel du pape François est décédé du virus la semaine dernière.
De plus, la distribution des vaccins se déroule plus lentement que prévu dans de nombreux pays. La France n’a vacciné que 0,29 personne sur 100, l’Allemagne rien que 0,82 personne sur 100 et le Canada 1,03 personne sur 100.1 L’Espagne n’a vacciné que 1,04 personne sur 100, les États-Unis seulement 2,82 personnes sur 100, tandis que le Royaume-Uni est parvenue à vacciner 4,19 personnes sur 100.1 Nous pouvons tous apprendre d’Israël, qui a vacciné 22,34 personnes sur 100, grâce à son système de santé universel numérisé, sa campagne publicitaire à grande échelle et une bonne planification, mais aussi parce que le pays a acheté des doses tôt pour protéger toute la population.1 Le fait que tant de pays soient si peu avancés est préoccupant car les médecins-experts estiment qu’il faudrait que 55,6 % à 81,5 % de la population totale soit vaccinée pour enrayer la pandémie de COVID-19.2
Les statistiques économiques montrent que la pression se maintient
Les récentes statistiques économiques montrent des signes des dommages causés par l’augmentation du nombre de cas d’infection à la COVID-19. Les rapports sur l’emploi de décembre des États-Unis et du Canada sont décevants, tout comme le nombre de premières demandes de prestations d’assurance-chômage aux États-Unis la semaine dernière. Nous avons aussi noté une baisse des ventes au détail aux États-Unis en décembre.
Quant à l’économie de la zone euro, elle a également été sous pression en décembre. Comme l’expliquait Chris Williamson d’IHS Markit : « L’économie de la zone euro s’est contractée pour un deuxième mois consécutif en décembre, se détériorant à un rythme légèrement plus rapide qu’on ne le pensait à la fin de l’année, en raison de l’intensification des infections à la COVID-19 ».3
Je m’attends à ce que les statistiques économiques montrent des signes de faiblesse pendant quelques mois encore, alors que le virus continue de se propager.
L’annonce de mesures de relance n’a pas aidé les actions américaines la semaine dernière
Aussi, la semaine dernière, le président désigné des États-Unis, Joe Biden, a dévoilé les détails de son plan de relance de 1,9 mille milliards de dollars américains appelé « The American Rescue and Recovery Plan » (plan américain de sauvetage et de relance). Mais les marchés n’ont pas réagi comme ils l’avaient fait précédemment, les cours boursiers se sont repliés. Certains ont laissé entendre qu’il se pouvait que les attentes en matière de relance étaient déjà escomptées, tandis que d’autres ont jeté le blâme sur ses propos concernant les impôts. Je pense que l’annonce de hausses d’impôts est ce qui a provoqué le repli des marchés boursiers américains vendredi. Au passage, il a également rappelé toutes les dépenses supplémentaires effectuées par de nombreux pays et la dette qu’ils ont contractée pour lutter contre la COVID-19 et ses énormes répercussions.
Est-ce que ce sera du pareil au même au premier trimestre?
À la lumière de ce qui précède, je pense qu’il ne faut pas s’attendre à de grands changements au cours des prochains mois. Je m’attends à ce que le premier trimestre de 2021 ne soit en réalité que le cinquième trimestre de 2020, avec des vents contraires persistants pour de nombreuses économies. De plus, je m’inquiète de certains risques :
- COVID-19. J’ai parlé de la lenteur de la vaccination, mais il y a pire encore, à savoir les variants du virus qui ont émergé. Les médecins-experts ne sont pas certains que les vaccins actuels protègent contre ces récents variants. Ils pensent que les vaccins sont efficaces contre le variant britannique bien plus contagieux (qui devrait devenir la souche dominante du virus aux États-Unis d’ici mars), mais il n’y a pas encore d’études à grande échelle pour soutenir cette affirmation. On craint davantage que les vaccins actuels ne protègent pas contre le variant sud-africain. Même si les vaccins protégeaient contre tous ces variants, je crains que ces souches plus contagieuses ne provoquent une augmentation encore plus forte du nombre de cas d’infection, d’hospitalisations et de décès, ainsi qu’une baisse encore plus marquée de l’activité économique, au cours des prochains mois, avant que les vaccins n’aient été largement distribués. La chancelière allemande Angela Merkel est tellement inquiète à propos de ces mutations de la COVID qu’elle a alerté les législateurs et leur a demandé que le pays reste en confinement jusqu’au début avril en disant que : « Si nous ne parvenons pas à stopper ce virus britannique, alors nous aurons dix fois plus de cas avant Pâques. Nous avons besoin de huit à dix autres semaines de confinement strict ».4
- Enjeux de distribution. Plusieurs pays ont des problèmes de distribution liés à l’approvisionnement et aux infrastructures. De nombreux pays des marchés émergents n’ont pas suffisamment de vaccins parce que les pays plus riches les ont tous achetés. Certains pays développés n’ont pas un approvisionnement suffisant non plus. Aux États-Unis, le président désigné, Joe Biden, a annoncé la semaine dernière un plan ambitieux qui vise à inoculer 100 millions d’Américains au cours des 100 premiers jours de son mandat en mettant sur pied une infrastructure fédérale solide qui ferait appel à la Federal Emergency Management Agency (FEMA) et à la Garde nationale. Cependant, le secrétaire américain à la Santé et aux Affaires sociales, Alex Azar, a annoncé la semaine dernière qu’il n’y avait plus de stock de vaccins aux États-Unis, ce qui risque de ralentir ces plans d’inoculation. Je ne serais pas surprise de voir surgir d’autres problèmes de distribution dans de nombreux pays au cours des prochains mois.
Il y a aussi un risque spécifique aux marchés : la possibilité d’un resserrement hâtif de la politique monétaire ou, pour être plus précise, la crainte des investisseurs que la politique monétaire se resserre plus rapidement que prévu. Cette préoccupation est centrée sur la Réserve fédérale américaine (Fed), étant donné que certains craignent que les mesures de relance provoquent une hausse du taux d’inflation et force la Fed à intervenir.
Certes, quelques dirigeants de la Fed ont récemment fait des commentaires qui pourraient donner un choc aux investisseurs, qui sont emballés par les taux d’intérêt extrêmement bas. Cependant, la semaine dernière, le président du conseil de la Fed, Jay Powell, a tenté d’apaiser les craintes d’un resserrement, affirmant que la Fed prendrait bien soin de communiquer le moindre changement de politique et qu’elle éviterait un resserrement prématuré. À ce sujet, il a dit ceci : « La crise financière mondiale nous a appris une bonne leçon : ne pas baisser la garde trop vite » et il a ajouté que les dirigeants des banques centrales ne devraient même pas parler de baisser la garde « parce que les marchés sont déjà aux aguets ».5
Effectivement, les marchés sont aux aguets car ce sujet est une telle source d’inquiétude. Pour la petite histoire, je persiste à croire qu’il est peu probable que nous assistions à une augmentation substantielle du taux d’inflation, mais cela reste une préoccupation pour les investisseurs. Je pense que les marchés pourraient s’évanouir uniquement en entendant quelques mots ou, plus précisément, en interprétant mal certains mots.
Y a-t-il une lumière au bout du tunnel?
Je tiens à souligner que je pense qu’il y a une lumière très éblouissante au bout du tunnel. Il ne reste plus qu’à traverser les prochains mois. Autrement dit, je crois que nous POURRONS éventuellement tourner la page.
D’ici le printemps, je crois que « l’année de la marmotte » sera terminée et que les vents contraires se seront atténués. Je m’attends à ce que les marchés continuent d’évoluer en fonction de l’anticipation d’une forte reprise plus tard en 2021, lorsque les vaccins auront été distribués à grande échelle. Cela devrait profiter aux valeurs cycliques, aux actions des marchés émergents (notamment en Asie) et aux produits de base sensibles au cycle économique, en particulier l’énergie et les métaux industriels. Je m’attends à ce que les titres technologiques continuent de bien performer, étant donné que bon nombre des tendances qui se sont accélérées pendant la pandémie risquent de ne pas s’inverser. Comme toujours, je pense que les investisseurs devraient jouer de prudence en maintenant un portefeuille bien diversifié pour réduire la volatilité globale, qui constitue un risque dans la conjoncture actuelle.
1 Source : Our World in Data (le monde en statistiques), 7 janvier 2021
2 Source : The Lancet, « Estimating the COVID-19 R number: a bargain with the devil? », 22 octobre 2020
3 Source : IHS Markit, 6 janvier 2021
4 Source : The Independent, « Germany faces 10 ‘tough’ weeks if it gets UK-strain of coronavirus, Merkel warns », 12 janvier 2021
5 Source : Bloomberg, L.P., « Powell Bats Down Bond-Taper Talk, Warning Against an Early Exit », 14 janvier 2021