Chaque semaine, j’espère que le dossier du commerce va progresser afin de pouvoir, ne serait-ce que pendant une semaine, éviter le sujet des négociations sur les échanges commerciaux dans mon blogue. Malheureusement, ce ne sera pas le cas cette semaine car il y a eu de nombreux développements ces derniers jours et je me sens obligée de vous en parler parce que je crois fermement que les relations commerciales constituent une véritable menace pour l’économie et les marchés.
Toujours pas d’accord entre le Canada et les États-Unis
En dépit des rumeurs qui circulaient au début de la semaine, à savoir que le Canada et les États-Unis étaient proches d’un accord, aucun accord n’a été annoncé à ce jour et, si vous voulez mon avis, ce ne sera pas demain la veille. Chrystia Freeland est une négociatrice canadienne aguerrie et coriace et elle sait que le Mexique veut que le Canada reste dans l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), ce qui lui donne un certain ascendant pour faire valoir les principales revendications du Canada.
Fait à noter, la Banque du Canada se prépare peut-être au pire des scénarios, à savoir l’échec des négociations sur l’ALENA. La semaine dernière, la première sous-gouverneure de la Banque du Canada, Carolyn Wilkins, a laissé entendre que la Banque du Canada envisage de continuer à relever les taux d’intérêt, même si les négociations sur l’ALENA échouent, parce qu’il se peut que les tarifs douaniers fassent grimper le taux d’inflation. Or, à mon avis, la hausse des taux d’intérêt va seulement exacerber le ralentissement économique que risque de provoquer l’imposition de tarifs douaniers. Si cela se produit, la Banque du Canada pourrait se retrouver dans une position semblable à celle de la Banque d’Angleterre où, après le vote en faveur du Brexit, l’inflation a augmenté (en raison de la dépréciation de la devise), tandis que l’économie a faibli, après quoi la Banque d’Angleterre a été coincée entre l’arbre et l’écorce, tiraillée entre sa volonté de contenir l’inflation et sa crainte de nuire à l’économie.
Imposition d’autres tarifs douaniers contre la Chine?
La Chine est un beaucoup plus gros enjeu. Juste au moment où la période de consultation concernant l’imposition proposée de 200 milliards $US de tarifs douaniers sur les biens chinois prenait fin, le président américain Donald Trump a annoncé qu’il était prêt à imposer 267 milliards $US de plus de tarifs douaniers sur les biens chinois.1 Certaines entreprises seront en mesure de refiler ces coûts additionnels à leurs clients (Apple a déjà annoncé son intention d’agir de la sorte), tandis que d’autres ne pourront pas. Ni l’un ni l’autre de ces scénarios n’est avantageux : d’un côté, le pouvoir d’achat des consommateurs est érodé, de l’autre, ce sont les marges bénéficiaires des entreprises qui écopent.
Comme je l’ai déjà dit, je suis persuadée que l’Administration Trump ne bluffe pas. À mon avis, elle a non seulement l’intention d’entamer une guerre commerciale avec la Chine, mais elle veut frapper le plus tôt possible. Et, je ne vois vraiment pas pourquoi la Chine acquiescerait aux multiples demandes farfelues de l’Amérique (plutôt que de se concentrer sur les violations des droits de propriété intellectuelle, les États-Unis semblent obsédés par la balance commerciale, un enjeu qui, selon moi, ne mérite pas qu’on s’y attarde à ce point). À mon avis, les investisseurs devraient s’attendre à une détérioration de la situation commerciale. C’est d’autant plus probable quand on sait que le président Trump a laissé entendre que les États-Unis ciblent aussi le Japon, ce qui risque de mener à un autre différend commercial entre les États-Unis et l’un de ses principaux partenaires commerciaux.
Les marchés émergents subissent des pressions
La conjoncture de placement présente certaines vulnérabilités. Les marchés émergents sont parmi ceux qui subissent les plus fortes pressions. Chacun de ces marchés a ses propres problèmes, en plus de devoir composer avec les pressions exercées par les États-Unis, principalement par la Réserve fédérale américaine (Fed). La Fed normalise son bilan de plus en plus rapidement ce qui, en plus de l’émission accrue de titres de créance américains en lien avec les déficits qui augmentent sans cesse, a créé une situation où les liquidités ont été évacuées des marchés émergents. Qui plus est, la Fed resserre les conditions de crédit, ce qui alourdit le fardeau du service des dettes libellées en dollars américains. Comme si ce n’était pas suffisant, le dollar américain continue de s’apprécier tandis que les relations commerciales se détériorent, ce qui indique que les investisseurs sont persuadés que les États-Unis vont remporter toutes leurs guerres commerciales, ce qui accentue les pressions sur les marchés émergents.
Comme je l’ai déjà mentionné, dans la conjoncture actuelle de conscience du risque, les actifs américains sont encore perçus comme une « valeur refuge ». Par conséquent, les marchés émergents vont probablement continuer de subir des pressions au moins jusqu’à la prochaine hausse de taux de la Fed prévue en septembre. Cependant, je crois que les pays qui vont continuer de subir le plus de pressions sont les plus vulnérables, en l’occurrence la Turquie et l’Argentine. J’anticipe une hausse de taux en septembre, mais je ne suis pas encore persuadée qu’il y en aura une autre en décembre, car la Fed est préoccupée par une inversion possible de la courbe des taux, comme on a pu le constater dans les allocutions et entrevues entourant le congrès de Jackson Hole en août dernier. J’espère également que la Fed prendra au sérieux son rôle de stabilisateur des marchés financiers. Cela voudrait dire, revoir son plan de normalisation du bilan (apparemment, la Fed prévoit aborder la question du bilan cet automne) ou procéder à un resserrement plus graduel, étant donné que le dollar américain pourrait provoquer une certaine agitation dans les marchés émergents.
Le dollar américain va-t-il demeurer la monnaie de réserve mondiale?
Au fil de mes nombreuses années de voyages, de présentations et d’échanges de questions et réponses devant un auditoire, j’ai été surprise par les questions qui m’ont été posées sur le dollar américain en tant que monnaie de réserve. Il y a déjà plus d’une décennie, on me demandait sans cesse si le renminbi chinois allait finir par remplacer le dollar américain comme monnaie de réserve de prédilection. Je répondais en expliquant que cela ne constituerait pas une menace avant plusieurs années et que, même là, une telle éventualité était peu probable. Or, ces dernières années, on a cessé de me poser cette question. Il se passe tellement de choses que personne ne s’inquiète plus d’une question aussi ésotérique que celle des monnaies de réserve. Pourtant, il n’y a jamais eu de moment plus opportun que maintenant pour se préoccuper de cet enjeu.
En 1965, le ministre des Finances de la France, Valéry Giscard d’Estaing, a décrit le rôle du dollar américain à titre de principale monnaie de réserve du monde comme un « privilège exorbitant » pour les États-Unis. Il faut savoir que, bien que les États-Unis produisent environ 22 % du produit intérieur brut mondial (PIB), le dollar américain est utilisé dans plus de la moitié de toutes les transactions (facturation transfrontalière, réserves, règlements, liquidités et financement).2 Voilà pourquoi le dollar américain se porte aussi bien en dépit des tensions commerciales grandissantes et de la baisse de confiance des investisseurs; c’est en grande partie la raison pour laquelle les actifs américains sont considérés comme une valeur refuge.
Je crois que cet immense privilège aurait pu durer indéfiniment. Or, je crains que la politique commerciale américaine et les sanctions politiques incitent certains pays à se tourner vers une autre monnaie de réserve qui comporterait moins de restrictions. On note déjà des signes de ce phénomène : l’Union européenne (UE) a signalé qu’elle cherchait des moyens de créer un système de paiement qui utiliserait une devise autre que le dollar. Même si l’abandon du dollar américain en tant que monnaie de réserve de prédilection ne puisse pas se concrétiser avant plusieurs années, selon moi, si cela se produit, cela va nuire considérablement aux marchés des capitaux américains.
La croissance des salaires aux États-Unis s’accélère
Malgré le repli des marchés boursiers mondiaux la semaine dernière, la détérioration des relations commerciales et le tumulte grandissant des marchés émergents, les taux des bons du Trésor ont augmenté. Le catalyseur a été l’excellent rapport sur l’emploi aux États-Unis. Les emplois non agricoles ont agréablement surpris, après le résultat décevant du rapport d’ADP sur l’emploi dans le secteur privé plus tôt dans la semaine.
Quoi qu’il en soit, la grande nouvelle a été la croissance des salaires, qui se chiffre à un taux annualisé de 2,9 %,3 ce qui marque la plus forte croissance du salaire horaire moyen en près d’une décennie. Cependant, ce paramètre nous rappelle le début février, alors qu’un taux de croissance similaire du salaire horaire moyen a eu des conséquences dramatiques sur les marchés boursiers mondiaux, provoquant un repli quasi-instantané. Cette fois-ci, la croissance des salaires ne semble pas avoir eu le même effet. C’est peut-être grâce à la multitude de bonnes nouvelles, allant de l’excellent rapport de l’ISM sur le secteur manufacturier aux États-Unis à la forte croissance du PIB japonais au deuxième trimestre, en passant par la déclaration du négociateur européen du Brexit, Michel Barnier, qui a dit que l’UE et le Royaume-Uni pourraient peut-être conclure un accord sur le Brexit d’ici deux mois. Nous allons surveiller la situation de près, car les craintes entourant l’inflation ou le commerce, voire les deux, pourraient faire chuter les cours boursiers et grimper les taux des bons du Trésor.
Nous prions pour le Japon
Je tiens également à souligner avec tristesse qu’après un été de terribles catastrophes naturelles, le Japon a connu un tremblement de terre tragique la semaine dernière. Mes pensées et mes prières accompagnent les habitants du Japon.