Les investisseurs laissent libre cours à leur imagination quant au resserrement de la politique monétaire de la Fed cette année. Or, souvent, la réalité est moins sombre que ce que l’on imagine, explique Kristina Hooper.
Je me souviens quand mes enfants étaient jeunes; ils avaient tous tellement peur de ce qu’il y avait sous leur lit la nuit. Ils ne pouvaient pas s’empêcher de laisser libre cours à leur imagination et croyaient que les pires monstres au monde se cachaient sous leur lit après la tombée de la nuit : des monstres à cornes et à crocs qui veulent dévorer les petits enfants, quand ce n’était pas un tueur en série. Le matin, quand ils avaient le courage de regarder sous le lit, ils voyaient bien que leurs peurs étaient pires que la réalité, à savoir quelques chaussettes sales. Il en va de même des investisseurs, qui imaginent les pires scénarios possibles quant au resserrement de la politique monétaire de la Réserve fédérale américaine (Fed) cette année. Et je soupçonne que la réalité sera beaucoup moins sombre que leurs pires craintes.
Il est stupéfiant de voir le changement radical des attentes entourant la Fed cette année. Les estimations de hausses de taux varient considérablement, mais elles ont été beaucoup plus élevées au cours des deux dernières semaines et cela a fait chuter la valeur des actions et d’autres actifs à risque. Selon certaines rumeurs, la Fed mettra fin aux achats d’actifs à sa réunion de cette semaine; d’autres pensent que la Fed pourrait commencer à relever ses taux dès sa réunion de cette semaine. Certains prévoient même jusqu’à huit hausses de taux cette année, ce qui pourrait être pire que l’araignée poilue géante à huit pattes qui se cachait sous le lit de ma fille et qui voulait la kidnapper et la prendre dans sa toile géante.
Avouons-le, les investisseurs craignent tellement que la Fed soit forcée de resserrer sa politique pour freiner l’inflation et, ce faisant, commette une erreur de politique. Mais, à mon avis, les marchés surestiment le resserrement de la politique de la Fed cette année.
Signes de « retour à la normale » en vue
La Fed dispose de trois outils qu’elle prévoit utiliser cette année pour lutter contre l’inflation : réduire ses achats d’actifs, augmenter les taux et diminuer la taille de son bilan. Compte tenu de la gamme d’outils à sa disposition, je suis persuadée que la Fed se sent moins contrainte de s’appuyer sur son outil traditionnel (la hausse des taux) de manière spectaculaire. Cela ne signifie pas qu’elle n’essaiera pas d’agir rapidement; cependant, agir tôt ne signifie pas nécessairement agir souvent. Autrement dit, les pressions inflationnistes peuvent avoir une incidence sur le moment de l’intervention, mais comme nous l’avons appris des cycles de hausse des taux antérieurs, ce n’est pas le moment où la Fed va commencer à relever les taux, mais celui où elle va cesser de procéder à des hausses de taux qui aura un impact plus marqué sur les actifs.
Il est à juste titre déconcertant pour les investisseurs au début de la saison du resserrement de réfléchir à ce qui pourrait arriver cette année. Je crois qu’il est important de prendre du recul et de voir la situation dans son ensemble. À mon avis, une grande partie des événements des dernières semaines, dont certains inquiètent les investisseurs, signifie que l’économie et les marchés mondiaux sont en voie d’amorcer un « retour à la normale » :
- Nous avons assisté à un repli réel et marqué des marchés boursiers. Au cours des 22 derniers mois, il n’y a eu que quelques replis boursiers, pour la plupart plutôt légers, suivis de reprises rapides, parce que les investisseurs sont vite retournés sur les marchés boursiers. Le comportement que nous avons observé ces dernières semaines s’apparente davantage à une conjoncture normale, ponctuée de replis marqués sans reprise immédiate.
- Les titres « favorisés par le confinement » sont en chute libre. Eh oui, le variant Omicron fait toujours des ravages dans certaines régions du monde, mais ailleurs, il a déjà atteint son apogée. Les actions escomptent clairement un retour à quelque chose qui ressemble plus à la réalité d’avant la pandémie, alors que les gens reviennent à des routines normales de visites aux centres de conditionnement physique et se divertissent plus à l’extérieur de la maison.
- L’offre et la demande reviennent à la normale. La demande refoulée commence à diminuer et l’offre augmente. Par exemple, l’indice manufacturier de l’Empire State de janvier a révélé une baisse des nouvelles commandes, des commandes en attente d’exécution et des délais de livraison.1 De plus, les stocks ont augmenté. Nous avons appris récemment que la Chine et le Vietnam demandent aux travailleurs de ne pas voyager pour le Nouvel An lunaire afin d’aider à réduire la propagation de la COVID-19 et, par le fait même, d’éviter les pénuries de main-d’œuvre qui peuvent exacerber les problèmes d’approvisionnement.2 Cela devrait aider à contenir les pressions inflationnistes.
- Nous nous attendons à une amélioration de la croissance économique en Chine. Les mesures de relance budgétaires et monétaires devraient contribuer à stimuler la croissance économique en Chine qui, selon nous, devrait se rapprocher de la tendance. Les bénéfices des sociétés semblent en voie de connaître une bonne année : le consensus des analystes prévoit une croissance du bénéfice par action de 13 % en Chine en 2022.3
Il n’y a donc pas de raison de craindre des taux plus élevés; de nombreux signes de retour à la normale nous indiquent que nous nous rapprochons de la situation d’avant la pandémie.
Obstacles à surveiller
Cela étant dit, le retour à la normale ne se fera pas sans heurts :
- Certaines régions du monde connaissent une forte augmentation du nombre de cas de COVID. La COVID-19 continue de se propager rapidement dans certaines régions du monde. Et cette propagation a un impact sur la croissance économique, comme en témoignent les récentes données préliminaires de l’indice des gestionnaires en approvisionnement de la zone euro, du Japon et des États-Unis.4 Il faut aussi savoir que la propagation du variant Omicron est susceptible d’accroître les perturbations de la chaîne d’approvisionnement, ce qui risque de retarder légèrement le retour à la normale des prix.
- On craint que l’Ukraine ne soit envahie par la Russie dès cette semaine. Les sanctions qui s’ensuivraient contre la Russie pourraient faire grimper le prix du pétrole, ce qui pourrait à son tour accroître les pressions inflationnistes à court terme.
Évidemment, le retour à la normale n’est pas pour demain. Certains aspects de la situation actuelle seront plus persistants, tels que les contraintes du marché du travail et la croissance des salaires. Cela nous a été rappelé les bénéfices du quatrième trimestre : au 14 janvier, 60 % des sociétés de l’indice S&P 500 ont souligné l’impact négatif des coûts de la main-d’œuvre dans leur conférence téléphonique sur les bénéfices.5
C’est ce portrait de l’inflation qui inquiète tant les investisseurs qui se demandent bien ce que la Fed va faire; le monstre sous le lit grossit et s’enlaidit chaque jour où l’inflation demeure élevée et les sources de pressions inflationnistes se multiplient.
À surveiller cette semaine
Je vais accorder une attention particulière aux données ci-dessous :
- Indice des dépenses de consommation personnelle des États-Unis. Nous voulons toujours porter attention à la mesure d’inflation préférée de la Fed, même si je ne m’attends à aucune surprise
- Anticipations d’inflation mesurées par l’Université du Michigan. Ce sera un indicateur important pour savoir si les anticipations d’inflation des consommateurs à plus long terme vont demeurer relativement stables et c’est un paramètre auquel la Fed accorde beaucoup d’importance
De plus, certaines banques centrales vont se réunir cette semaine, y compris la Banque du Canada. Cependant, tous les regards seront tournés vers la Fed. Je crois que le président du conseil de la Fed, Jay Powell, va tenter de « trouver le bon ton » lors de sa conférence de presse, en parlant avec fermeté, mais en étant suffisamment clair et calme pour rassurer les investisseurs qui ont peur du monstre sous le lit et peut‑être même dissiper les pires craintes des investisseurs. Cependant, je ne crois pas que les propos de M. Powell vont mettre un terme à la volatilité et aux replis qui, selon moi, vont continuer au moins jusqu’à la première hausse de taux.
1 Source : Banque de réserve fédérale de New York. L’indice manufacturier de l’Empire State est compilé chaque mois par la Banque de réserve fédérale de New York pour mesurer l’activité manufacturière dans l’État de New York.
2 Source : Nikkei Asia, « China, Vietnam urge workers to hunker down over Lunar New Year », 24 janvier 2022
3 Source : Bloomberg, L.P., 24 janvier 2022
4 Source : IHS Markit, 24 janvier 2022. Les indices des gestionnaires en approvisionnement reposent sur des sondages mensuels menés auprès des entreprises du monde entier et évaluent la conjoncture économique dans les secteurs manufacturier et tertiaire.
5 Source : FactSet, Earnings Insight, 14 janvier 2022