La forte chute des cours boursiers de lundi reflète les craintes d’une intensification des tensions commerciales, qui ont semé la panique chez les investisseurs. Ce repli ne devrait pas surprendre ceux qui ont compris que les marchés boursiers étaient vulnérables parce que les marchés n’escomptaient pas pleinement les tensions commerciales. Je considère ce repli comme une saine réévaluation des actions qui tient davantage compte du risque que la guerre commerciale s’éternise.
La semaine dernière, tous les yeux étaient rivés sur la réunion du comité de la politique monétaire de la Réserve fédérale américaine (Fed). La décision, une baisse de taux de 25 points de base, était attendue, mais la Fed nous réservait quelques surprises. La première est que la Fed a aussi décidé d’abolir plus tôt que prévu la normalisation du bilan. L’autre est que de nombreux observateurs de la Fed ont quitté la conférence de presse sans savoir à quel point la Fed a réellement l’intention d’être accommodante ni ce qui explique sa décision de procéder à une baisse de taux.
Le président du conseil de la Fed, Jay Powell, a eu beaucoup de mal à justifier cette baisse de taux, compte tenu de la vigueur de l’économie américaine, et a tout fait pour ne pas inquiéter le grand public. La Fed a invoqué plusieurs raisons, mais je me suis intéressée à une en particulier : La Fed a cité les « incertitudes » qui planent sur l’économie mondiale comme l’une des raisons de cette baisse de taux, ce qui est clairement une référence aux tensions commerciales.
La guerre commerciale attise l’incertitude économique
Je retiens de cette conférence de presse que la détérioration progressive des relations commerciales préoccupe la Fed au plus haut point; je crois que cette baisse de taux est une « police d’assurance » contre les retombées négatives des guerres commerciales. Or, à ce stade-ci, il est difficile de quantifier les dommages qu’elles pourraient causer, puisque c’est comme un accident au ralenti qui se déroule sous nos yeux. (Je tiens à préciser que cette situation peut encore être arrêtée avant que le maximum de dégâts n’ait été infligé.)
Je qualifie cette situation d’« accident au ralenti » parce que, comme je le disais plus tôt, la principale cause de ces retombées négatives n’est pas réellement les tarifs eux-mêmes. C’est plutôt l’incertitude à l’égard de la politique économique qu’ils provoquent, qui mine la confiance des entreprises et freine les dépenses d’investissement des entreprises, ce à quoi M. Powell a fait allusion par le passé. (Par exemple, le produit intérieur brut américain du deuxième trimestre indique que la guerre commerciale a une incidence sur la confiance et les investissements des entreprises; les dépenses d’investissement des entreprises ont chuté de 0,6 % au deuxième trimestre, le pire résultat en plus de trois ans.1) M. Powell a dit clairement que l’incertitude à l’égard de la politique commerciale est plus grande que ce que la Fed avait anticipé et a ajouté que la Fed n’a pas besoin d’adopter des mesures plus musclées parce que les relations commerciales se sont stabilisées : une situation qu’il décrivait comme étant « en ébullition » n’est désormais plus que « frémissante ».
Trump annonce l’imposition de nouveaux tarifs à la Chine
Mais ça, c’était il y a quelques jours. Depuis, la situation est passée de « frémissante » à « en ébullition ». Le lendemain de la conférence de presse de M. Powell, le président américain, Donald Trump, a soudainement annoncé l’imposition de nouveaux tarifs sur 300 milliards $US d’importations chinoises.2 Cette ronde de tarifs, si elle entre en vigueur, aurait une incidence sur un large spectre de biens de consommation, ce qui signifierait que les États-Unis imposeront désormais des droits de douane sur tous les produits en provenance de la Chine.
La réaction de la Chine n’a surpris personne. La porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères, Hua Chunying, a déclaré ceci la semaine dernière : « La Chine n’acceptera aucune pression maximale, menace ou chantage, et ne fera aucun compromis sur les grandes questions de principe ».3 Et, aujourd’hui, le 5 août, le taux de change du renminbi a chuté sous le seuil critique de sept renminbi pour un dollar américain.4 Bien que cela ait semé l’agitation sur les marchés, je crois que c’est probablement une bonne nouvelle pour la Chine. Selon moi, cela devrait permettre à la Chine de mieux composer avec les nouveaux tarifs annoncés par l’Administration Trump et cela indique que la Chine ne se laissera pas imposer un accord commercial avec les États-Unis dont elle n’est pas satisfaite des dispositions.
Cela met énormément de pression sur les marchés boursiers américains, qui étaient déjà effrayés par la détérioration des relations commerciales entre les deux pays et qui espéraient la conclusion d’un accord dans un proche avenir, et je crois que la situation va probablement perdurer. À mon avis, cela montre que la Chine est en bien meilleure position pour négocier que les États-Unis; elle dispose de beaucoup plus d’outils pour lutter contre les retombées négatives des tarifs et, par conséquent, le temps joue en sa faveur. Je suis d’accord avec l’ex-directeur du Conseil économique national des États-Unis, Gary Cohn, qui a affirmé que les États-Unis n’ont aucune chance de remporter une guerre commerciale contre la Chine.5 Bref, je crois qu’il y a une chance, plus ou moins mince, tout dépendant de l’ampleur du repli boursier, que les États-Unis capitulent sous peu et acceptent quelques concessions mineures afin de pouvoir conclure un accord commercial. Sinon, je m’attends à ce que la Fed se sente clairement obligée d’intervenir, si bien que ce qui a débuté comme un « ajustement » de milieu de cycle pourrait se transformer en un véritable effort pour soutenir l’économie américaine.
D’ici là, je m’attends à ce que la volatilité persiste dans plusieurs catégories d’actifs à risque et à ce que les investisseurs continuent de se tourner vers les « valeurs refuges ».
Les craintes suscitées par les tensions commerciales se répandent
Les craintes suscitées par les tensions commerciales ne se limitent pas aux États-Unis et à la Chine. Comme je l’ai déjà dit, les tarifs douaniers sont un peu comme des bactéries dans une boîte de Petri, elles se multiplient rapidement.
La situation commerciale entre le Japon et la Corée du Sud est très tendue. Le Japon a retiré le statut de partenaire commercial privilégié à la Corée du Sud, créant ainsi un scénario dans lequel la Corée du Sud risque fort de riposter.
Puis, il y a l’accord commercial entre les États-Unis et l’Union européenne (UE) de la semaine dernière, accord commercial mineur visant à vendre davantage de bœuf américain à l’Europe. N’allez pas croire que cela signifie que les États-Unis et l’UE parviendront à éviter un différend commercial majeur. En fait, une guerre tarifaire semble probable. Comme l’expliquait M. Trump : « L’UE impose d’énormes barrières tarifaires. C’est un partenaire commercial très coriace. »6 M. Trump a dit clairement qu’il envisage toujours d’imposer des tarifs sur les importations d’automobiles : « Les tarifs sur les importations d’automobiles ne sont jamais exclus. Si je n’obtiens pas ce que nous voulons, j’imposerai des tarifs. »6 L’UE a adopté un ton conciliant, indiquant qu’elle souhaitait collaborer avec les États-Unis pour réformer l’Organisation mondiale du commerce et se pencher sur d’autres enjeux commerciaux, mais elle a clairement indiqué qu’elle réagirait si les États-Unis imposaient des tarifs sur les importations d’automobiles.
Qu’est-ce que cela signifie pour les investisseurs?
Je tire la sonnette d’alarme sur les guerres commerciales et la démondialisation depuis 2017. J’ai même mentionné dans ce blogue en 2018 que les paroles suivantes : « les guerres commerciales sont bonnes et faciles à gagner » étaient les plus terrifiantes qui ont été prononcées cette année-là. Et, bien sûr, je le pense encore.
Qu’est-ce que cela signifie pour les investisseurs? Ce repli boursier pourrait se poursuivre pendant des jours, voire même des semaines. Quoi qu’il en soit, nous devons être conscients que la volatilité que nous connaissons en ce moment crée des occasions de placement pour les investisseurs sélectifs et perspicaces. Les actions sont « en solde » et il se peut que les taux hypothécaires américains baissent encore.
Par ailleurs, je crois que plus le repli sera marqué, plus les États-Unis vont chercher une manière de contrecarrer les effets des tarifs. J’espère que les États-Unis vont s’apercevoir que les probabilités de remporter une guerre commerciale contre la Chine sont très minces; cela devrait inciter le pays à mettre un terme à cet élan masochiste et à vouloir éviter de s’auto-infliger encore plus de dommages. Le cas échéant, les États-Unis pourraient capituler et accepter un accord comportant de maigres concessions de la part de la Chine. Après tout, les États-Unis pourraient toujours choisir de régler leur différend avec la Chine par l’intermédiaire de l’Organisation mondiale du commerce. Sinon, la Fed pourrait ouvrir le robinet de l’assouplissement monétaire. Tous ces scénarios pourraient jouer en faveur des actifs à risque.
Il y a quelques semaines, j’ai confié les rênes de mon blogue à mon collègue Brian Levitt, qui a conseillé aux investisseurs de se méfier de leur instinct naturel de fuir leurs peurs du marché. Il est important, à ce moment précis, de réitérer que je crois que la situation actuelle justifie une observation prudente, mais pas une fuite. Je n’insisterai jamais assez sur l’importance pour les investisseurs qui ont un horizon temporel plus long de conserver leurs placements et de bien diversifier leur portefeuille.