Le stratège en actions Talley Léger explore un scénario de risque extrême pour les marchés, dont la probabilité pourrait augmenter.
Si vous êtes un investisseur comblé et avez un horizon de placement de 20 ans ou plus, gardez le cap et cessez immédiatement de lire ce blogue! Sinon, pardonnez-moi de m’être laissé aller au pessimisme qui a envahi les investisseurs tactiques, et pour cause. Pour être clair, le scénario que je suis sur le point d’explorer n’est pas le scénario de référence du Bureau de la stratégie des marchés mondiaux. Il s’agit plutôt d’un scénario de risque extrême, dont la probabilité pourrait augmenter.
Après tout, l’indice S&P 500 a chuté de 14 % entre son sommet du 3 janvier 2022 et la fin avril, sans aucun creux majeur en vue.1 Certes, une remontée exploitable de 11 % s’est développée du 8 au 29 mars1, mais ce bref rebond s’est finalement transformé en ce qui semble maintenant être une séquence de hauts plus bas et de bas plus bas.
Récession économique généralisée ou contraction tactique?
Certes, je travaillais en partant de l’hypothèse que les actions connaîtraient une certaine volatilité, ce qui est typique, en prévision du décollage de la Réserve fédérale américaine (Fed), en me disant que le marché aurait le temps de se rétablir complètement (voire même d’atteindre de nouveaux sommets) avant le début de la prochaine récession.
Aujourd’hui, je n’en suis plus aussi sûr. L’inflation s’est étendue, exacerbée par les perturbations des chaînes d’approvisionnement alimentaires et énergétiques par suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la Fed est en retard sur la courbe avec ses hausses de taux d’intérêt et la croissance économique réelle semble stagner. Ainsi, je crains que les autorités monétaires américaines ne soient pas en mesure de maîtriser les pressions sur les prix sans causer encore plus de tort à l’économie.
Compte tenu de la trajectoire descendante décourageante de l’activité manufacturière aux États-Unis et de l’orientation récente de l’ensemble de l’économie, je crois que les investisseurs devraient au moins envisager la possibilité d’une période de contraction tactique au cours des six à neuf prochains mois.
Le ton de plus en plus belliciste de la Fed et les conditions financières difficiles m’inquiètent, car cela envoie un signal de baisse de la production industrielle et d’une possible récession des bénéfices plus tard cette année (voir la figure 1).
Figure 1 : Les conditions financières difficiles ralentissent déjà l’activité manufacturière aux États-Unis
Conditions financières (bleu foncé, inversées) et activité manufacturière (bleu clair) des É.-U. depuis 1996

Déflation récessionnaire ou désinflation « immaculée »?
Y a-t-il un scénario dans lequel la Fed n’aurait pas à augmenter autant son taux directeur grâce à un resserrement marqué des conditions financières? Le sentiment d’appauvrissement freinera-t-il suffisamment la demande pour mettre un terme à la surchauffe de l’économie américaine? La baisse des prix du pétrole et l’atténuation des perturbations des chaînes d’approvisionnement pourraient-elles engendrer une sorte de désinflation « immaculée »?
Malgré mon appréhension baissière, je peux voir un moyen de sortir de cette triste situation, mais je doute que le chemin vers la reprise 2.0 soit facile. Beaucoup de choses vont devoir commencer à bien se passer pour faire changement, alors que tant de choses ont mal été.
À mon point de vue, une chaîne d’événements potentiellement positive pourrait inclure :
- Ralentissement de l’activité économique – c’est fait
- Baisse du prix du pétrole – c’est fait
- Atténuation des perturbations des chaînes d’approvisionnement – premiers signes d’espoir (voir la figure 2)
- Plafonnement de l’inflation – ?
- Attitude moins belliciste, voire légèrement accommodante, de la Fed – ?
Figure 2 : Les perturbations des chaînes d’approvisionnement liées à la pandémie semblent s’atténuer, ce qui pourrait contribuer à faire baisser les prix à la consommation.
Perturbations des chaînes d’approvisionnement (bleu foncé, extrapolées) et inflation des prix à la consommation aux É.-U. (bleu clair) depuis 2017

Rotation vers les titres à caractère défensif ou occasion de placement dans les actifs à risque?
Une contraction tactique peut dégénérer en une récession économique généralisée, tout dépendant de l’intensité du cycle de resserrement de la Fed et de son seuil de tolérance à la douleur. D’une manière ou d’une autre, la situation pourrait s’avérer tout aussi pénible pour les investisseurs boursiers en temps réel.
Dans les mois à venir, attendez-vous à ce que l’indice manufacturier des gestionnaires en approvisionnement de l’Institute of Supply Management passe sous la barre des 50 points, ce qui confirmerait une contraction tactique. En pareilles circonstances, la dynamique de marché se caractérise généralement par une rotation des actions et des titres cycliques vers les obligations et les titres à caractère défensif, virage qui est peut-être déjà amorcé.
Il est peut-être encore un peu tôt, mais je crois que les investisseurs qui ont un portefeuille équilibré pourraient envisager d’augmenter leur exposition aux obligations. On pourrait penser que la hausse des taux obligataires montre déjà qu’on se dirige vers le taux neutre des fonds fédéraux. De plus, selon moi, cette catégorie d’actifs offre désormais de meilleurs revenus et des valorisations plus attrayantes et pourrait bénéficier d’une détérioration des perspectives économiques. En effet, les rendements ont tendance à fondre lorsque la production subit des pressions.
Personnellement, j’aurais tendance à réduire mon exposition aux actions et aux titres cycliques en profitant des redressements spontanés pour procéder à des liquidations. Certes, j’ai commencé à cocher des éléments sur ma liste d’événements positifs. Cependant, nous n’aurons probablement pas un signal clair de prise de risque et d’augmentation des pondérations avant d’arriver à un point d’inflexion des prix à la consommation et à une réaction plus posée de la Fed. Gardez l’œil ouvert.
1 Source : Bloomberg, L.P.