Les marchés sont confus car ils ignorent à quel point la Fed va resserrer sa politique monétaire cette année; c’est ce qui explique pourquoi les marchés ont évolué en montagnes russes en avril et la situation se poursuit en mai. Cependant, Kristina Hooper voit la lumière au bout du tunnel.
Je suis assez vieille pour me souvenir des marchés des titres à revenu fixe « avant le RQ » — c’est-à-dire avant l’assouplissement quantitatif, lorsque les rendements étaient plus normaux. Lorsque nous étions jeunes mariés, en 1996, mon mari et moi avons décidé d’acheter une première maison. Nous avons rencontré un préposé aux prêts d’une banque locale (qui a depuis longtemps été acquise par une série de grandes banques) qui nous a fourni une « calculatrice » d’hypothèque en plastique;– il s’agissait essentiellement d’un petit bidule en carton muni d’une glissière qui nous indiquait à combien s’élèverait notre versement hypothécaire par tranche de 1 000 $ d’emprunt, selon le taux d’intérêt. L’échelle du calculateur allait de 6 à 20 %, ce qui correspondait à la fourchette des taux hypothécaires des dernières décennies. J’ai conservé ce gadget en souvenir, mais il s’est avéré obsolète une fois que la politique monétaire est devenue très accommodante et que les taux hypothécaires sont tombés bien en dessous de 6 %. Bien sûr, tout comme les robes trapèze et les pantalons à pattes d’éléphant cachés au fond des placards, je soupçonne que cette relique enfouie au fond du tiroir de mon bureau pourrait de nouveau être utile, du moins pour mes enfants.
Impact de la politique monétaire expérimentale
À mon avis, les taux hypothécaires aux États-Unis ne sont qu’un exemple de la façon dont la politique monétaire expérimentale des grandes banques centrales des pays développés a créé une répression financière et remodelé les marchés des titres à revenu fixe dans une grande partie du monde. Alors que de nombreux économistes et observateurs des marchés se languissent d’un « retour à la normale » depuis plus d’une décennie, cela ne s’est jamais réellement produit. Oui, la Réserve fédérale américaine (Fed), qui a mené la charge en faveur de l’adoption d’une politique monétaire accommodante tout ce qu’il y a de plus expérimentale à la suite de la crise financière mondiale, a amorcé un cycle de resserrement en 2015, mais il a été excessivement lent et n’est jamais allé très loin avant de faire marche arrière. Nous revoici donc au point où les grandes banques centrales occidentales entament un autre cycle de resserrement et certaines doivent serrer la vis beaucoup plus fort.
Il va sans dire que les marchés sont très anxieux. Nous nous sommes tous habitués à une conjoncture de bas taux, puisque la situation perdure depuis si longtemps. Il est parfois très difficile de s’adapter au changement, surtout s’il s’accompagne d’incertitude quant à l’inflation élevée et de confusion quant à la politique monétaire de la Fed. Voilà pourquoi les marchés ont évolué en montagnes russes en avril et la situation se poursuit en mai, notamment en raison de la confusion qui règne quant à l’orientation de la politique monétaire de la Fed. Le président du conseil de la Fed, Jay Powell, a d’abord adopté un ton très belliqueux, s’adressant directement aux consommateurs américains et déclarant catégoriquement que « l’inflation est beaucoup trop élevée » à sa conférence de presse qui a suivi la réunion du Federal Open Market Committee en mai. (Cela m’a rappelé un obscur politicien populiste de New York dont le slogan était « les prix des loyers sont trop élevés » qui a fondé un parti politique dont la plateforme reposait uniquement sur ce thème). M. Powell s’est targué de dire que la Fed a les outils nécessaires pour faire baisser l’inflation et qu’elle va les utiliser. Il a réitéré que la Fed est « très attentive » aux risques d’inflation.
Cependant, pendant la période de questions de la conférence de presse (qui, bien sûr, est la partie non scriptée), M. Powell s’est montré un peu plus conciliant. Lorsqu’on lui a demandé ce qu’il pensait être le taux neutre, il a répondu entre 2 et 3 %. En outre, il a déclaré qu’une hausse de taux de 75 points de base n’était pas envisagée à ce stade-ci et cela a semé une certaine confusion et rendu les marchés boursiers et des titres à revenu fixe volatils.
L’incertitude règne sur les marchés
Les marchés sont clairement confus quant à ce que la Fed fera cette année et à quel point elle va resserrer sa politique monétaire. Cela se voit dans la volatilité des attentes à savoir à combien s’élèvera le taux des fonds fédéraux à la fin de 2022, comme on le voit dans les contrats à terme sur fonds fédéraux. Cela se reflète aussi dans l’indice VIX, de volatilité des marchés boursiers, qui a franchi la barre des 30 points.1
L’incertitude plane sur d’autres grandes banques centrales : seront-elles capables de bien doser leur politique monétaire et de juguler l’inflation sans plonger leur économie en récession? Je crois que les banques centrales devront se fier aux données si elles veulent avoir de meilleures chances d’effectuer un atterrissage en douceur.
En particulier, le choc énergétique et le choc à plus grande échelle des produits de base constitue un défi beaucoup plus grand pour la zone euro et le Royaume-Uni que pour les États-Unis. Au Royaume-Uni, le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Andrew Bailey, a ni plus ni moins signalé un risque élevé de récession et presque fixé une limite à l’ampleur du resserrement. La Banque d’Angleterre est ainsi passée de la plus belliciste des grandes banques centrales à l’une des plus en retard sur le peloton. Dans la zone euro, les achats d’actifs vont probablement diminuer, mais une réduction du bilan semble peu probable. Enfin, bien que des hausses de taux semblent de plus en plus probables à partir du milieu de l’année, elles seront vraisemblablement plus petites et plus lentes qu’aux États-Unis.
En conclusion, il est parfois très difficile de s’adapter au changement, surtout s’il s’accompagne de confusion et d’incertitude. Je crois qu’il convient de noter que, malgré la forte volatilité de la semaine dernière, l’indice S&P 500 était essentiellement stable.1 Une de mes amies, conseillère financière bien nantie, m’a dit qu’elle ne recevait pas d’appels de clients qui lui demandent de vendre des titres, mais plutôt de passer des relevés mensuels aux relevés trimestriels pour éviter de voir et, par le fait même, d’être secoués par la volatilité. À mon avis, il faut analyser la situation dans une perspective historique : les taux resteront probablement relativement bas une fois le resserrement terminé d’adopter une perspective historique : les taux seront probablement encore relativement bas une fois le resserrement terminé. Bref, je ne pense pas que nous aurons besoin de consulter nos anciennes calculatrices d’hypothèque en plastique de sitôt, sauf peut-être les plus bas taux de l’échelle. Qui plus est, même si je ne m’attends pas à ce que cette période de volatilité et de replis boursiers se termine immédiatement, car il faudra probablement plus de temps aux marchés pour digérer la nouvelle conjoncture monétaire, je suis convaincue que les marchés finiront par s’adapter à ce changement. Enfin, je crois que cette période de digestion va offrir de bonnes occasions de placement à ceux et celles qui investissent à long terme dans des actions, des titres à revenu fixe et autres placements alternatifs.
Rédigé en collaboration avec Arnab Das et Paul Jackson
1 Source : Bloomberg L.P., au 9 mai 2022.