Les banques centrales des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Europe et du Canada ont toutes durci le ton ces derniers mois. Kristina Hooper explore les réactions des marchés et ce à quoi on peut s’attendre.
Le monde a retenu son souffle la semaine dernière, après la déclaration de Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne. Lors de la conférence de presse de la BCE la semaine dernière, elle a résolument durci le ton, admettant que l’inflation est plus élevée et plus persistante que prévu et qu’il se peut qu’elle continue d’augmenter. Même si Mme Lagarde a insisté sur le fait qu’il est toujours peu probable que le décollage de la hausse des taux se produise en 2022, les marchés semblent plutôt s’attendre à ce qu’il s’amorce vers le milieu de 2022.
Visiblement, la BCE commence à se préoccuper de l’inflation, à l’instar de la Réserve fédérale américaine (Fed). Et pour cause : l’estimation préliminaire de l’inflation en janvier dans la zone euro a atteint un taux annualisé de 5,1 %.1 Quelle différence une année, et la réouverture après la pandémie, peut faire : il y a un an, en janvier 2021, l’inflation dans la zone euro augmentait au taux annualisé de 0,9 %.1
La semaine dernière, la Banque d’Angleterre a relevé ses taux de 25 points de base, après une hausse de 25 points de base en décembre. De même, la révélation que quatre des neuf membres du comité de la politique monétaire de la Banque d’Angleterre voulaient en fait relever les taux de 50 points de base en a surpris plus d’un. Les craintes suscitées par l’inflation se propagent comme une traînée de poudre parmi les dirigeants des banques centrales.
Par ailleurs, le rapport de janvier sur l’emploi aux États-Unis qui a été rendu public vendredi, en a lui aussi fait sursauter plus d’un et a conforté la perception selon laquelle la Fed ne tardera probablement pas à resserrer sa politique monétaire. Non seulement la croissance des emplois non agricoles a été forte (non seulement pour le mois de janvier, mais aussi par rapport aux données révisées de décembre), mais la croissance des salaires a été élevée et, plus important encore, plus élevée que prévu. Ce rapport a renforcé la perception que la Fed va relever ses taux en mars et a même fait augmenter la possibilité d’une hausse de 50 points de base en guise de décollage.
Comment les marchés ont-ils réagi?
Le marché obligataire mondial a réagi vivement aux événements de la semaine dernière. Le taux des Bunds allemands à 10 ans a grimpé à 0,20 %, son plus haut taux depuis des années.2 Le taux des obligations d’État italiennes à 10 ans a lui aussi augmenté de manière significative pendant la semaine. Il en a été de même pour le taux des bons du Trésor américain à 10 ans, qui a franchi le seuil de 1,9 % la semaine dernière.2 En réaction à la hausse des taux obligataires américains et européens, le taux des obligations d’État japonaises à 10 ans a atteint près de 0,2 % pour la première fois depuis janvier 2016, bien que la Banque du Japon soit clairement loin d’être en mode resserrement.2
À quoi peut-on s’attendre?
La Banque d’Angleterre, la Fed, la BCE et la Banque du Canada sont à différents stades sur le chemin du retour à une politique monétaire normale, mais elles ont un point en commun : elles ont toutes durci le ton ces derniers mois. Que nous réserve l’avenir?
Premièrement, je m’attends à ce qu’elles durcissent encore plus le ton. Les dirigeants des banques centrales se fient à leurs propres paroles pour faire le gros du travail et cela a somme toute fonctionné jusqu’à présent. Pour ce qui est du resserrement en tant que tel, le rythme de ces quatre banques centrales sera largement dicté par les données, c’est-à-dire l’inflation et les anticipations d’inflation. Certaines banques centrales demeurent préoccupées par la vulnérabilité de leur économie, ce qui me fait dire que la BCE et la Banque du Canada seront plus sensibles à cet égard.
Il faut savoir que, même si les autres données ont dépassé les attentes (ce qui signale une inflation plus forte) et que les signaux de politique monétaire des banques centrales occidentales sont plus bellicistes que prévu (ce qui laisse présager une politique monétaire plus restrictive), la réalité est plus nuancée et varie d’un pays à l’autre.
Par exemple, le rapport sur l’emploi aux États-Unis montre que les travailleurs commencent peut-être à réintégrer le marché du travail pour prendre part à la forte reprise économique, attirés par les nombreuses offres d’emplois et des salaires plus élevés à l’embauche, ce qui se reflète dans la hausse du salaire horaire moyen, le taux de participation de la population active et le ratio emploi-population. Si les travailleurs continuent de revenir sur le marché du travail, cela pourrait prolonger la reprise économique et réduire la pression sur la croissance des salaires.
En Europe, la zone euro et le Royaume-Uni connaissent également une sorte de renaissance de leur marché du travail. Le chômage semble demeurer plus élevé dans la zone euro qu’au Royaume-Uni et même qu’aux États-Unis, parce que la plupart des entreprises ont plus de difficulté à ajouter ou retrancher des travailleurs. Le consensus veut que la BCE ne sera pas en mesure, ou n’aura pas besoin, de resserrer sa politique monétaire autant que la Fed, principalement pour cette raison. Mais si la pénurie de main-d’œuvre se poursuit dans la zone euro et que le taux de chômage diminue, il se peut que les marchés réévaluent dans quelle mesure la BCE devra resserrer davantage sa politique monétaire.
De son côté, la Banque d’Angleterre a envoyé des messages contradictoires quant à l’orientation de sa politique monétaire. Le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Andrew Bailey, a lancé un appel à la modération des hausses salariales pour éviter d’accentuer les pressions inflationnistes, mais a précisé que le revenu réel disponible (le « salaire net » après inflation) va en souffrir. Il a eu du mal à faire valoir que le marché ne devrait pas en conclure que d’autres hausses de taux sont à prévoir, même si le vote des membres du conseil à 5 contre 4 en faveur d’une hausse de taux de 25 points de base au lieu de 50 points de base était beaucoup plus belliciste que prévu.
Même si la Fed, la Banque d’Angleterre et la BCE ont retenu énormément d’attention, la Banque du Canada ne devrait pas être laissée à l’écart du radar des investisseurs. Le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, a indiqué que le taux d’inflation demeurera inconfortablement élevé pendant la première moitié de l’année, mais qu’il devrait chuter de manière significative pendant la deuxième moitié de l’année. Il s’est dit conscient de l’incertitude provoquée par la pandémie, les problèmes d’approvisionnement et la pénurie de main-d’œuvre, mais a tout de même signalé qu’il faut s’attendre à une série de hausses de taux.
Quelle que soit l’opinion que l’on se fait des causes de cette poussée d’inflation (politique monétaire excessivement laxiste, soutien budgétaire démesuré ou bouleversements économiques provoqués par la pandémie), il est clair que l’inflation est une préoccupation plus sérieuse et plus persistante que ce à quoi la plupart des banques centrales s’attendaient. Elles ont réagi en durcissant le ton, mais il faut savoir que ce terme a un sens différent pour différentes banques centrales.
Je m’attends à plus de volatilité jusqu’à ce que les investisseurs aient vu les réactions des banques centrales, de même que leur « jargonnage » (qui est souvent ma foi plus difficile à déchiffrer que le grec ancien). Et je m’attends à ce que les actions des pays où la politique monétaire se rapproche de la fin du resserrement ou, mieux encore, devient plus accommodante soient avantagées. À mon avis, ce n’est pas une coïncidence si les actions chinoises se sont bien comportées ces derniers jours; la Banque populaire de Chine s’est montrée plus accommodante cette année.3
À surveiller cette semaine
Les événements de la semaine seront plutôt centrés sur les États-Unis et sur l’inflation. Je m’attends à ce que les observateurs des banques centrales s’intéressent surtout à l’indice des prix à la consommation (IPC) américain, aux anticipations d’inflation de l’Université du Michigan, au rapport sur la politique monétaire de la Fed (qui sera déposé avant le témoignage semestriel du président du conseil, Jay Powell, devant le Congrès) et à divers discours de représentants de la BCE.
Je ne peux qu’espérer une semaine sans que personne n’ait à « retenir son souffle » en prenant connaissance des nouvelles données. Tout le monde s’attend à ce que l’IPC américain soit beaucoup plus élevé que le mois précédent, alors je ne m’attends pas à une vive réaction des marchés, à moins qu’il ne dépasse les prévisions. Les lecteurs assidus de ce blogue se souviendront peut-être que nous ne prévoyons pas que l’inflation culminera avant le milieu de 2022; par conséquent, nous ne serions pas étonnés par une hausse du taux d’inflation sur douze mois de 7,3 %, soit le consensus des analystes pour l’IPC. Ce qui pourrait être plus problématique, ce sont les anticipations préliminaires d’inflation de l’Université du Michigan pour février. Les anticipations d’inflation de la Fed de New York sur un et trois ans étaient encore élevées en décembre, mais semblent avoir plafonné; nous aimerions que les données de l’Université du Michigan plafonnent également (il faudra attendre jusqu’à lundi prochain pour connaître les anticipations d’inflation de la Fed de New York pour le mois de janvier.) Et il y a toujours des renseignements fort intéressants dans le rapport sur la politique monétaire de la Fed.
Évidemment, les cours boursiers et obligataires fluctuent tandis que les attentes en matière de politique sont recalibrées, compte tenu du durcissement de ton des banques centrales. Notre attention demeure concentrée sur la mesure dans laquelle la Fed et les autres banques centrales estiment devoir ajuster leur politique monétaire pour s’adapter à la nouvelle réalité de l’inflation et, par le fait même, pendant combien de temps encore la politique monétaire va influencer les investisseurs. Tant que l’inflation n’aura pas diminué, ou du moins que les anticipations d’inflation ne seront pas mieux ancrées, nous ne serons probablement pas encore sortis de l’auberge.
Rédigé en collaboration avec Arnab Das et Ashley Oerth.
1 Source : Eurostat, Office statistique de l’Union européenne, 2 février 2022
2 Source : Bloomberg, L.P., Les taux ont atteint ces niveaux au cours de la semaine terminée le 4 février 2022.
3 Selon les indices chinois composé de la Bourse de Shanghai et Hang Seng. L’indice composé chinois de la Bourse de Shanghai est l’un des principaux indices qui suit le rendement boursier quotidien des actions de catégories A et B cotées à la Bourse de Shanghai. L’indice Hang Seng est un indice non géré que l’on considère comme étant représentatif du marché boursier de Hong Kong, qui comprend les actions des plus grandes sociétés négociées à la Bourse de Hong Kong. Les rendements passés ne sont pas garants des résultats futurs. Il est impossible d’investir directement dans un indice.