Quand j’étais au secondaire, nous avons lu le roman « Les Européens » de Henry James dans notre cours de littérature anglaise. Un thème majeur du roman met en opposition les Européens et les Américains, les Américains du « Nouveau Monde » y étant décrits avec un brin d’ironie comme conservateurs, traditionnels et plus attachés à l’argent, tandis que les Européens y sont décrits comme moins traditionnels, plus progressistes et plus émotifs. J’ai beaucoup réfléchi à ce livre la semaine dernière.
Si vous avez lu mon blogue la semaine dernière, vous savez que je m’attendais à ce que d’autres mesures de relance budgétaire soient sur le point d’être adoptées aux États-Unis, et pour cause, puisque le nombre de cas de COVID-19 a atteint de nouveaux records, ce qui menace de stopper les récents signes de reprise économique. Je dois dire que la semaine dernière ne s’est pas déroulée exactement comme je m’y attendais. Oui, nous avons vu davantage de mesures de relance budgétaire, mais pas des États-Unis. C’est plutôt l’Union européenne (UE) qui a fait preuve d’une coopération étonnante en s’entendant sur un plan de relance sans précédent. Les États-Unis, en revanche, se sont éloignés de la conclusion d’un accord sur des mesures de relance supplémentaires, même si leur économie est beaucoup plus menacée compte tenu de leur incapacité à contrôler l’augmentation du nombre de cas d’infection à la COVID-19 et de l’absence d’un filet de sécurité sociale comme celui dont jouissent les Européens.
Malheureusement, le Sénat américain n’est pas parvenu à conclure un accord de relance budgétaire, malgré le fait que les États-Unis ont connu 18 semaines consécutives de plus de un million de premières demandes de prestations d’assurance-chômage.1 Qui plus est, la tendance évolue dans la mauvaise direction : après 15 semaines de déclin, le nombre de premières demandes de prestations d’assurance-chômage a augmenté pendant la semaine terminée le 18 juillet, atteignant un total plus élevé que prévu de 1 416 000.1 La reprise économique est compromise et ce sentiment est partagé par les PDG américains. Ed Bastian, PDG de Delta, a dit ceci : « J’ai une vision plus prudente qu’il y a quatre semaines… La peur que le virus a semée dans le Sud des États-Unis a incité les gens à vouloir rester chez eux plus que jamais auparavant. »2 Arne Sorensen, PDG de Marriott International, partage cet avis : « Je suis moins optimiste aujourd’hui qu’il y a 30 jours. Ce virus fait des ravages dans tellement de marchés aux États-Unis. » 2 Et, l’économie américaine sera désormais plus à risque, parce que les gens vont venir au bout de leurs prestations d’assurance-chômage. Bref, le dysfonctionnement du Sénat américain est préoccupant en ce moment.
Par contre, l’Union européenne est parvenue à s’entendre sur un plan de mesures de relance, même si sa situation économique est sans doute meilleure. Par exemple, l’indice composé préliminaire des gestionnaires en approvisionnement (PMI) de la zone euro s’est hissé au seuil très élevé de 54,8 points en juillet grâce à l’amélioration des données des secteurs manufacturier et tertiaire.3 Cependant, cela n’a pas empêché les Européens de rompre avec la tradition — ce n’est pas d’hier que les dirigeants ont une vision diamétralement opposée de ce type de partage des coûts — et de conclure une entente sur de généreuses mesures de relance budgétaire pour l’UE. Ce plan prévoit 390 milliards € sous forme de subventions et 360 milliards € sous forme de prêts à faible intérêt.4 Il est aussi assez progressiste, puisqu’une part substantielle des fonds servira à lutter contre les changements climatiques. La vitesse à laquelle cet accord a été conclu — environ quatre jours — est une très agréable surprise. Et, bien que ce plan ne soit pas vraiment transformateur, il s’agit d’un pas très important vers une union budgétaire. Je pense aussi que c’est un élément positif pour contrer les mouvements populistes et anti-UE qui menacent de fracturer l’UE.
Les retombées de cet accomplissement de l’Europe et de l’échec des États-Unis — tant en ce qui a trait à la maîtrise du virus qu’à l’adoption d’un plan de relance budgétaire — me portent à croire que les actifs européens vont probablement bientôt surpasser les actifs américains. Je m’attends à ce que l’euro demeure fort et à ce que les actifs européens soient plus attrayants que les actions américaines aux yeux des investisseurs.
La tension monte entre les États-Unis et la Chine alors que les deux pays exigent la fermeture de consulats
En plus des pressions économiques exercées par le coronavirus, les actions américaines ont un autre obstacle à surmonter :l’intensification des tensions avec la Chine. J’ai évoqué cet enjeu dans mon blogue la semaine dernière puis, plus tard dans la semaine, les États-Unis ont ordonné à la Chine de fermer son consulat à Houston, ce que la Chine a qualifié « d’escalade sans précédent ». La Chine a riposté en exigeant des États-Unis la fermeture de son consulat à Chengdu.
Le secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, a monté le ton d’un cran lors d’un discours qu’il a prononcé la semaine dernière, en affirmant ceci : « préserver nos libertés du Parti communiste chinois est la mission de notre temps ».5 Je ne serais pas étonnée si les tensions s’intensifiaient à l’approche des élections présidentielles américaines en novembre. Un signe de la peur que cette situation suscite est le prix de l’or, qui a franchi le cap des 1 900 $US la semaine dernière.6
Voici ce que nous allons surveiller
Pour contrer les vents contraires auxquels sont confrontées les actions américaines, telles que la montée des tensions entre les États-Unis et la Chine, les marchés boursiers bénéficient de puissants vents arrières qui, à mon avis, importent davantage, y compris le fait que le monde est inondé de mesures de relance monétaires et budgétaires, qui soutiennent les cours boursiers.
Ainsi, au cours de la prochaine semaine, nous allons surveiller de près ces deux éléments importants : les mesures de relance budgétaires et les mesures de relance monétaires. Nous allons porter une attention particulière à l’annonce et à la conférence de presse de la Réserve fédérale américaine. Je n’attends rien de nouveau de sa part, mais je pense qu’elle va continuer d’insister sur certains de ses messages clés, à savoir : qu’elle va maintenir une politique monétaire très accommodante et que davantage de mesures de relance budgétaires sont nécessaires. De plus, nous suivrons les négociations en cours au Sénat américain sur la relance budgétaire; je demeure confiante quant à l’adoption d’un plan de relance quelconque. (Après tout, étrangement, les années électorales incitent les législateurs à être plus généreux.) Peut-être que les Américains vont se conformer à la description d’Henry James, s’ils se soucient vraiment autant de l’argent qu’il le prétend, alors il leur appartient de continuer de faire tourner l’économie américaine en procédant à une injection de mesures de relance budgétaires à un moment où elle risque de s’arrêter.