Compte tenu de la hausse de l’inflation, la Réserve fédérale américaine (Fed) a annoncé le 15 décembre qu’elle accélérerait le retrait de ses achats mensuels d’obligations et pourrait relever les taux d’intérêt jusqu’à trois fois en 2022. C’est le type d’annonce qui a provoqué la panique dans le passé, mais cette fois-ci, le marché américain en général a largement accueilli cette nouvelle sans broncher. À quoi peut-on s’attendre maintenant? Le stratège des marchés mondiaux, Brian Levitt, et le stratège en actions, Talley Léger, discutent des suites immédiates de l’annonce et de leurs prévisions.
Brian : La Fed avait apparemment préparé le marché à cette annonce. À l’heure qu’il est, nous nous attendions tous à ce que la Fed accélère le retrait de ses achats d’actifs et fasse connaître son intention de procéder à plusieurs relèvements de taux en 2022. Je ne suis pas surpris que le marché américain soit largement resté imperturbable jusqu’ici. L’indice S&P 500 est à deux doigts de franchir un sommet inégalé. Cependant, au lendemain de l’annonce, les obligations américaines ont remonté, le billet vert a perdu du terrain, les secteurs de valeur cycliques ont mené le bal tandis que les actions de croissance à long terme du secteur des technologies de l’information ont accusé un recul prononcé. On pourrait difficilement parler de panique! Pour reprendre les mots inoubliables du coach Vince Lombardi, « Qu’est-ce qui se passe ici (bon sang)? »
Talley : À mon humble avis, la baisse des taux obligataires à long terme et des cours des actions du secteur de la technologie est paradoxale. Je ne pense pas que les marchés et les investisseurs puissent jouer sur les deux tableaux. Selon moi, la Fed relâche l’accélérateur dans une économie qui est déjà en mode ralentissement, ce qui devrait être favorable aux actions de croissance « de substitution » comme celles du secteur de la technologie. Vu sous cet angle, le fait que les taux des titres du Trésor américain à 10 ans soient maintenant inférieurs à leur niveau de mars est logique. De plus, le marché obligataire semble voir plus loin que la poussée inflationniste puisque les attentes inflationnistes sur cinq à dix ans des consommateurs sont apparemment bien ancrées pour le moment.
Quoique le calendrier de la réduction en accéléré des achats d’actifs ait été bien communiqué, il est possible que le devancement des hausses de taux d’intérêt ait ébranlé certains investisseurs en actions, créant une onde de choc à court terme dans les actions du secteur de la technologie. En fin de compte, je dirais que les actions ne vont pas suivre le même chemin que les obligations, qui ont remonté dans tous les segments de la courbe des taux. Je ne sais plus qui a dit cela, mais n’est-il pas vrai que le marché obligataire se trompe moins souvent que le marché des actions?
Brian : On dit aussi que ce n’est pas la première hausse de taux d’intérêt d’un cycle qui compte, mais bien la dernière. Je suis assez vieux pour me souvenir du rendement du marché pendant les années qui ont suivi les premières hausses de taux d’intérêt des cycles en 1994 et en 2015 : le marché avait affiché une tenue passablement bonne et les sociétés de croissance avaient mené le bal. Dans les deux cas, l’inflation avait été plutôt contenue comparativement à aujourd’hui. Les attentes inflationnistes, telles que mesurées par le taux d’inflation neutre, semblent avoir culminé à la mi-novembre. En ce qui concerne le positionnement par style de gestion et par secteur, est-ce que d’autres indicateurs donnent à penser que nous sommes en présence d’un changement radical?
Talley : Il est intéressant d’observer que la courbe des taux – l’écart entre les taux des titres du Trésor américain à 10 ans et à 2 ans, par exemple – s’est un peu accentuée immédiatement après l’annonce de la Fed. Je souligne ce point parce que c’est un indicateur classique d’un possible délaissement des titres de croissance du secteur de la technologie au profit des titres de valeur fondamentale du secteur de la finance de sorte qu’il vaut la peine de suivre la situation de près. Une seule journée ne fait pas une tendance, mais nous avons assisté jusqu’à maintenant à une accentuation haussière de la courbe des taux obligataires, ce qui signifie que les taux des obligations à plus court terme ont perdu plus de terrain que ceux des obligations à plus long terme. Personnellement, les mouvements internes du marché obligataire ne me rendent pas optimiste à l’égard des perspectives de croissance économique au point de jeter mon dévolu sur les actions de valeur fondamentale du secteur de la finance. Qu’en pensez-vous?
Brian : À mon avis, il se peut que les secteurs orientés vers la valeur peinent à trouver un catalyseur dans les conditions actuelles. La croissance ralentit, le variant Omicron semble se propager rapidement (il est encore trop tôt pour évaluer sa virulence, mais les indications préliminaires donnent de l’espoir) et la politique se resserre à la marge. Au moment où j’écris ces lignes, je me rends compte que cela peut paraître assez inquiétant. Est-ce que la tournure des événements vous inquiète? Éclairez notre lanterne. Que pourrait-il se passer au cours des 12 prochains mois?
Talley : Dans le contexte d’une expansion économique inflationniste (dont la cadence est toutefois en train de modérer) aux États-Unis, je pense que le retrait prévu des mesures extraordinaires de soutien monétaire est raisonnable. Soyons clairs : nous traversons le premier passage à vide de ce nouveau cycle économique, mais il ne s’agit pas forcément d’un ralentissement prononcé qui se produit juste avant une récession économique. Ce temps viendra, comme toujours, mais la pente haussière de la courbe des taux donne à penser que la Fed dispose d’une marge de manœuvre en vue d’un resserrement avant que les conditions politiques et financières deviennent restrictives. Si tel est le cas, je suis enclin à conserver le style de placement axé sur la croissance et les actions du secteur de la technologie, qui offrent encore, en général, des ventes rapides et des taux de croissance des bénéfices.
Si des conditions réunissant l’apaisement des craintes suscitées par le variant Omicron, une mobilité accrue, le ralentissement de l’inflation et une position moins ferme de la Fed se matérialisent, nous devrons être préparés pour une nouvelle accélération potentielle de l’activité économique et une réorientation parallèle du positionnement par style de gestion et par secteur. Le cas échéant, nous ne manquerons pas d’en parler.