Selon Alessio de Longis, la dynamique actuelle des marchés cadre avec l’anticipation d’un cycle de resserrement de courte durée et d’un retour à une faible croissance et à une faible inflation qui sont caractéristiques de la conjoncture depuis la grande crise financière. Notre cadre d’analyse laisse encore entrevoir un régime d’expansion. Cependant, la forte réévaluation des attentes à l’égard de la politique monétaire et l’aplatissement des courbes de taux mondiales nous rappellent qu’il y a un risque accru de ralentissement en 2022.
Le point sur la situation macroéconomique
Les indicateurs économiques avancés continuent de décroître à un rythme modéré dans l’ensemble des régions. Aux États-Unis, la faiblesse se manifeste surtout dans les enquêtes sur la confiance des consommateurs, tandis que les résultats des enquêtes auprès des entreprises, l’activité manufacturière et les indicateurs relatifs à l’habitation demeurent résilients.
Dans la zone euro et au Royaume-Uni, l’anticipation d’un ralentissement de la demande manufacturière, l’augmentation des stocks et le manque de confiance des consommateurs viennent confirmer le ralentissement observé ces derniers mois.
Même si l’activité en Chine ralentira quelque peu à court terme, la tendance négative qui se dégage des résultats des enquêtes dans les secteurs manufacturier et immobilier est en train de se dissiper, ce qui indique une certaine stabilisation, tandis que les conditions monétaires et de crédit s’améliorent peu à peu.
Notre cadre d’analyse macroéconomique laisse encore entrevoir un régime d’expansion, avec une activité économique mondiale supérieure à la normale à long terme et une amélioration de l’appétit pour le risque (figures 1a, 1b et 2).
Figure 1a : Le cadre d’analyse macroéconomique laisse prévoir un régime d’expansion et la Chine amorce sa reprise

Figure 1b : Les indicateurs économiques avancés continuent de décroître à un rythme modéré dans l’ensemble des régions

Figure 2 : L’appétit pour le risque continue d’augmenter à l’échelle mondiale

La réévaluation des attentes à l’égard de la politique monétaire survenue au cours des dernières semaines aussi bien dans les marchés développés que dans les marchés émergents est impressionnante et le signe que les participants au marché partagent l’opinion selon laquelle les cycles de resserrement imminents seront probablement marqués dans leur phase initiale et de courte durée. Les attentes quant aux relèvements de taux ont augmenté de manière appréciable, à cause d’une inflation supérieure à la cible et des préoccupations persistantes concernant les goulots d’étranglement des chaînes d’approvisionnement. L’orientation actuelle de la politique monétaire des banques centrales est mise à rude épreuve.
Aux États-Unis, les marchés obligataires prévoient un premier relèvement de taux au milieu de 2022, soit beaucoup plus tôt que les projections actuelles de la Réserve fédérale américaine (la Fed).
La Banque du Canada a mis fin prématurément à ses mesures d’assouplissement quantitatif, et les marchés obligataires locaux s’attendent à deux hausses de taux en l’espace d’un an. La Banque de réserve d’Australie a abandonné sa stratégie de contrôle de la courbe des taux, laissant les taux des obligations à 2 ans augmenter à 80 points de base (pb), alors que sa cible est de 10 pb1. La forte réévaluation a également touché les courbes de taux en Europe et au Royaume-Uni1.
Cette réévaluation n’a pas donné lieu à une hausse des taux obligataires à long terme, comme on aurait pu s’y attendre. Les courbes de taux se sont plutôt fortement aplaties, les taux à long terme étant restés inchangés ou ayant diminué au cours des derniers mois. Cette dynamique cadre avec l’anticipation d’un cycle de resserrement de courte durée et d’un retour à une faible croissance et à une faible inflation qui sont caractéristiques de la conjoncture depuis la grande crise financière, où le point d’équilibre des taux d’intérêt demeure bas.
Des pressions baissières sur les taux obligataires à long terme sont un indicateur d’une tendance persistante à l’épargne par précaution dans le secteur privé. La demande de crédit demeure faible malgré l’abondance du crédit disponible et la souplesse des conditions financières. Jusqu’ici, la forte croissance de la masse monétaire au cours des dernières années est canalisée vers les actifs financiers plutôt que vers la consommation et les investissements.
Comme l’illustre la figure 3, les actifs financiers détenus par les banques américaines (principalement des titres du Trésor américain et d’organismes) ont augmenté de plus de 20 % sur un an, tandis que la croissance des prêts est stable2. Alors que la stimulation budgétaire commencera à diminuer en 2022, la demande du secteur privé devra prendre le relais, mais les données économiques à ce jour laissent présager une difficile transition. Les courbes de taux évoluent en conséquence.
Figure 3 : La masse monétaire aux États-Unis a été canalisée par les bilans des banques vers les marchés obligataires plutôt que vers la croissance des prêts, car la demande de crédit reste faible

Même si le régime d’expansion persiste, la tournure des événements accroît la probabilité de l’atteinte d’un sommet cyclique à court terme. Lorsque les investisseurs partout dans le monde commenceront à faire peu de cas d’un ralentissement plus généralisé de la croissance dans les marchés de titres à revenu fixe et les marchés boursiers, notre cadre d’analyse s’orientera vers une répartition plus défensive de l’actif.
Positionnement des placements
- En ce qui concerne les actions, nous privilégions les marchés émergents, compte tenu de leur croissance mondiale supérieure à la normale, de la progression de l’appétit pour le risque et de l’évaluation élevée du dollar américain, facteurs qui soutiennent habituellement les bénéfices et les cours boursiers à l’extérieur des États-Unis à moyen terme. Nous continuons de privilégier les facteurs de la (petite) taille et de la valeur dans toutes les régions. De plus, nous penchons pour le facteur du momentum, qui s’applique actuellement aux actions de valeur et à petite capitalisation, ce qui concentre les risques dans les facteurs cycliques et réduit la diversification du portefeuille par rapport aux dernières années. (Figures 4 et 5)
- Du côté des titres à revenu fixe, nous privilégions les titres de créance risqués malgré les écarts de taux serrés, parce que nous sommes en quête de revenu dans un contexte de faible volatilité. Nous surpondérons les obligations à rendement élevé, les prêts bancaires et les titres de créance des marchés émergents au détriment des titres de créance de catégorie investissement et des obligations d’État. Nous préférons les obligations du Trésor américain aux obligations d’État des autres pays développés en raison de leurs taux plus avantageux. (Figure 4)
- Sur les marchés des changes, nous avons réduit davantage l’exposition aux devises et surpondéré le dollar américain, car la croissance décevante sur les marchés développés à l’extérieur des États-Unis pose un certain risque à court terme pour les devises malgré les évaluations attrayantes. Du côté des marchés développés, nous privilégions l’euro, le yen, le dollar canadien, le dollar de Singapour et la couronne norvégienne, tandis que nous sous-pondérons la livre sterling, le franc suisse et le dollar australien. Sur les marchés émergents, nous préférons les monnaies à rendement élevé dont l’évaluation est intéressante, comme le rouble russe, la roupie indienne, la roupie indonésienne et le réal brésilien.
Figure 4 : Répartition tactique relative des actifs

Figure 5 : Positionnement sectoriel tactique

1 Données en date du 1er novembre 2021.
2 Source : Réserve fédérale américaine, Assets and Liabilities of Commercial Banks in the United States – H.8, 29 octobre 2021