Brian Levitt, stratège des marchés mondiaux, nous donne son point de vue sur l’impact du coronavirus et des guerres des prix du pétrole.
1. Le marché ne devait-il pas subir une correction de toute façon?
Habituellement, les replis boursiers ne se produisent pas sans raison apparente. Ils découlent d’une incertitude économique ou politique, ou les deux. L’épidémie de coronavirus et le « remède » potentiel au virus, qui ont provoqué la fermeture de grands pans de l’économie, causent amplement d’incertitude économique pour justifier un repli boursier.
2. Quelles seront les conséquences sur l’activité économique américaine?
Il est trop tôt pour le dire précisément. L’ampleur des pertes liées au ralentissement de l’activité économique dépendra de l’ampleur de l’épidémie et de s’il aura fallu fermer des grands pans de l’économie américaine. La bonne nouvelle est qu’au début de la crise, les consommateurs américains étaient en excellente posture et que le système bancaire était bien capitalisé, ce qui laisse présumer que la croissance va reprendre dès que le nombre de cas aura plafonné. Cependant, nous n’assisterons pas à un creux en V (revirement rapide et soudain d’une tendance baissière) tant que nous ne saurons pas plus exactement à quel point l’économie sera touchée et que nous n’aurons pas plus confiance aux mesures prises par le gouvernement.
3. Les décideurs réagiront-ils avec énormément de force pour soutenir l’économie et les marchés?
Oui, mais il faudra un effort concerté de la part de trois paliers de décideurs, à savoir la communauté médicale, les autorités monétaires et les autorités budgétaires. La Réserve fédérale américaine (Fed) peut assouplir les conditions de crédit, mais elle ne peut pas, contrairement à 2016 et à 2019, à elle seule contrer l’impact potentiel des perturbations sur la demande économique.
- Communauté médicale : La communauté médicale doit absolument augmenter radicalement le nombre de personnes testées afin que le public puisse mieux gérer la situation.
- Autorités monétaires : La Fed fera l’impossible pour assouplir les conditions financières. Cela inclut probablement ramener le taux des fonds fédéraux à la limite de zéro pour cent (la courbe des contrats à terme l’escompte déjà1) et devra injecter énormément de liquidités dans le système bancaire du pays.
- Autorités budgétaires : L’Administration Trump s’efforce de mettre de l’argent dans les poches des Américains (en proposant des baisses d’impôt sur la masse salariale), tandis que les démocrates se concentreront probablement sur une intervention énergique en matière de soins de santé (tests gratuits de dépistage du coronavirus, protections d’assurance renforcées ou élargies). Il faudra peut-être un certain temps pour que les deux parties s’entendent sur les mesures à adopter.
4. Pourquoi les taux des bons du Trésor américain sont-ils aussi bas?
Les anticipations de croissance et d’inflation ont chuté rapidement.2 Le marché obligataire, toutes échéances confondues, escompte désormais une très faible croissance et un très bas taux d’inflation. Le taux des bons du Trésor américain à 10 ans est désormais nettement inférieur au taux de croissance réel américain projeté à long terme d’environ 2 %.3
5. Jusqu’où l’indice S&P 500 peut-il descendre?
Le marché boursier américain a déjà chuté de 20 %, et 70 % des actions ont déjà perdu près de 20 % de leur valeur.4 Ces chiffres correspondent à peu près à la fin des pertes boursières de 2011 et de 2018. Cela ne signifie pas que les marchés ne peuvent pas baisser davantage. L’histoire nous rappelle que l’atteinte d’un creux boursier est généralement un processus de longue haleine et, dans le cas présent, cela pourrait être un peu plus long, car les investisseurs attendent des signes qui montrent que le nombre de cas de coronavirus a plafonné. Notre mauvais scénario, à savoir une grande récession économique américaine, entraînerait probablement l’indice S&P 500 vers le creux de 2018, soit environ 2 400 points. Encore une fois, c’est notre mauvais scénario, pas notre scénario de référence.
6. De quoi devrais-je m’inquiéter le plus sur le plan économique?
Il y a lieu de s’inquiéter de la baisse des prix du pétrole, de l’élargissement des écarts de taux et des écarts de taux interbancaires. L’effondrement des prix de l’énergie exerce des pressions sur les entreprises surendettées du secteur de l’énergie, dont beaucoup se financent sur le marché des obligations à rendement élevé et dans le système bancaire américain.
Les écarts de taux ont grimpé à près de 650 points de base à la clôture des marchés le 10 mars 2020 et se sont rapprochés rapidement des seuils atteints en 2016 et en 2018.5 Nous croyons qu’ils vont continuer de s’accroître tant que l’activité économique sera perturbée. Or, il faudrait que les écarts de taux demeurent élevés pendant une période prolongée pour qu’on assiste à une forte contraction de la croissance du crédit et de l’activité économique.
7. Y a-t-il lieu d’être optimiste en dépit de toutes ces inquiétudes?
Absolument. De nombreux signes indiquent que le repli boursier est plus proche de la fin que du début.
- La parité des options vente-achat est à son plus haut depuis décembre 2018.6 (Les options de vente donnent à l’investisseur le droit de vendre un titre à un prix convenu à un autre investisseur. Les options d’achat donnent à l’investisseur le droit d’acheter un titre à un prix convenu d’un autre investisseur. La parité des options vente-achat désigne la proportion d’options de vente par rapport aux options d’achat achetées un jour donné.)
- La courbe du VIX n’a jamais été aussi inversée depuis 2008.7 (Le VIX est l’indice de volatilité du Chicago Board Options Exchange.)
- Le ratio cuivre/or (nombre d’onces d’or qu’il faut pour acheter une once de cuivre) a atteint un sommet inégalé depuis 2015 et avant cela, en 2008.8
- Les actions, selon le modèle de la Fed, n’ont jamais été aussi bon marché par rapport aux obligations depuis le début du présent cycle.9
- 95 % des sociétés de l’indice S&P 500 versent des dividendes plus élevés que le taux des bons du Trésor américain à 10 ans.10
- Le ratio de la valeur des titres cycliques de l’indice S&P 500 par rapport aux titres défensifs est aussi bas qu’à la fin de chacun des ralentissements économiques passés.11
- Prenez l’exemple de la Chine qui montre à quel point une économie peut se relever rapidement d’une pandémie. Le pays a réussi à s’en sortir grâce à l’effort concerté des trois paliers de décideurs auquel j’ai fait allusion plus haut. L’activité économique a chuté brusquement, mais elle commence déjà à reprendre.
8. Quelles sont les éléments les plus importants à garder à l’esprit en pareilles circonstances?
Nous avons tendance à croire que nous vivons dans la période la plus incertaine, mais ce n’est pas le cas. Nous passerons à travers cette crise comme nous l’avons toujours fait. Entre 1998 et 2018, nous avons vécu l’effondrement des valeurs technologiques, un attentat terroriste, une crise financière mondiale, la crise de la dette européenne, le Brexit et de nombreux épisodes de maladies infectieuses (H1N1, SRAS, Ebola et SRMO), pourtant l’indice S&P 500 a continué de grimper de 7 % par année.12 Un placement boursier de 100 000 $ effectué en 1998 vaudrait aujourd’hui plus de 400 000 $.13 Pensez à long terme et conservez vos placements.